Ultimate comics X : origins par Arthur Adams

Après le grand event « Ultimatum » qui a balayé une bonne partie des personnages de la ligne Ultimate, Marvel a essayé de relancer une nouvelle version des X-Men de cet univers parallèle. Avec l’aide du scénariste Jeph Loeb (auteur de Daredevil : Yellow et Spider-Man : Blue), l’immense dessinateur Arthur Adams revient aux pages séquentielles avec la précision (et la lenteur) qu’on lui connait. La série limitée compte 5 épisodes dont la publication s’est étalée de février 2010 à juin 2011. Elle n’a pas été suivie directement d’une série continue avec le même casting mais certains personnages sont revenus plus tard lors de la relance du titre Ultimate comics : X-Men.

Quand on pense à Arthur Adams, on a tout de suite en tête des planches travaillées, gorgées de détails. C’est effectivement une des « trademarks » de cet artiste ultra-talentueux dont la côté de popularité n’a cessé de progresser depuis plus de trois décennies. Son style graphique a lui aussi beaucoup évolué : après ses premiers pas chez Marvel sur la maxi-série Longshot, on assiste à sa lente ascension avec ses épisodes d’Uncanny X-Men, son célèbre one-shot pour le titre Excalibur baptisé « Mojo Mayhem« , jusqu’à ses formidables planches sur Jonni Future (chez ABC Comics) et The Authority ( chez Wildstorm).

Lorsqu’il arrive sur Ultimate comics X : origins, Arthur Adams est au sommet de son art et il a gommé pas mal des petits « travers » qu’on pouvait lui reprocher avant (comme ces visages trop allongés, par exemple). C’est donc l’occasion, à travers l’exploration de ces 10 pages, d’observer plus précisément ce qui fait la force de ce dessinateur qui a été une grande source d’inspiration pour beaucoup d’autres (tels que Jim Lee, Joe Madureira, J. Scott Campbell, Rob Liefeld et Nick Bradshaw pour ne citer qu’eux.).

1/ Entre réalisme photographique et comics pur

Ultimate comics X : origins par Arthur Adams - Accident de voiture
Ultimate comics X : origins par Arthur Adams – Accident de voiture

L’une des premières choses que je trouve fascinante chez Arthur Adams est qu’il délivre bien souvent une représentation du réel extrêmement fidèle, sans jamais donner l’impression de simplement copier une référence photo. Bien évidemment, il doit faire des recherches de modèles pour être aussi précis dans les détails. Mais on n’a jamais l’impression qu’il s’est contenté de « repasser » par dessus une photo ou un modèle 3D.

Dans cette planche, le rendu des véhicules est hallucinant de détails, que ce soit dans les éléments des carrosseries ou le comportement de la taule froissée et des roues qui dérapent. Pour autant, ces dessins étant encrés avec la même précision que le reste, le lecteur n’a pas la sensation (comme c’est le cas dans certains mangas, par exemple), qu’il y a un décalage entre une façon plus lâchée de restituer les personnages et un dessin presque technique des décors et accessoires.

Cette uniformité dans la rigueur du dessin renforce l’impression d’un rendu photographique du réel, tout en conservant la sensation que le dessin est « fait main ».

2/ La crédibilisation de l’histoire par les décors

Ultimate comics X : origins par Arthur Adams - Des décors impressionnants
Ultimate comics X : origins par Arthur Adams – Des décors impressionnants

S’il ne remplit pas chacune de ses cases d’un décor complexe, Arthur Adams ne cède jamais à la facilité. Tous ses comics bénéficient ainsi d’une représentation des lieux soignée, originale et documentée. Qu’ils soient contemporains ou fantastiques, ses décors dégagent un réalisme incroyable et donnent toujours la sensation d’être de vrais lieux de vie.

Ici, il apporte un soin maniaque à la description graphique d’une cabane sur pilotis qui, pourtant, ne jouera pas de rôle important dans l’histoire. Il se donne du mal pour varier la végétation qui l’entoure, l’équiper d’accessoires et outils crédibles et lui conférer un aspect fonctionnel indéniable.

J’ai particulièrement appréc ié le travail fait sur les textures : des planches usées à la coque du bateau rongée par la rouille, Adams ne laisse rien au hasard et parvient à retranscrire chaque matière, sans compter sur la colorisation pour faire le job à sa place.

3/ La sexualisation (plus ou moins) discrète des héroïnes

Ultimate comics X : origins par Arthur Adams - Préparatifs sexy
Ultimate comics X : origins par Arthur Adams – Préparatifs sexy

Arthur Adams n’a pas été, dès le départ, très à l’aise avec les personnages féminins. Plus habile pour dessiner les monstres, l’artiste a, pendant longtemps, peiné à leur donner des silhouettes harmonieuses et des visages attirants. On se souvient, par exemple, des jambes excessivement longues qu’il conférait aux héroïnes des X-Men, ainsi que de ces visages aux sourires crispées et aux nez parfois trop pointus.

Adams a, cependant, énormément évolué sur ce point au fil des années et il est même parti parfois dans un excès d’hyper-sexualisation souvent maladroit. Dans ses sketchbooks notamment, ses héroïnes se sont retrouvées affublées de poitrines très voluptueuses, de pauses exagérément cambrées et surtout, de mous forcées sur des bouches très charnues. Si on ajoute à cela une tendance, comme J. Scott Campbell, à donner des traits un peu trop juvéniles aux femmes, je peux comprendre que ses personnages féminins ne plaisent pas à tout le monde.

Ici, cependant, il semble un peu plus raisonnable et dans cette planche, il parvient, selon moi, à nous offrir une scène sexy avec Jean Grey sans trop forcer le trait. Il s’appuie essentiellement sur la cambrure de silhouette et des furtifs « side boobs ».

4/ Une grande diversité de détails

Ultimate comics X : origins par Arthur Adams - Visions macabres
Ultimate comics X : origins par Arthur Adams – Visions macabres

Dans cette double page macabre, Arthur Adams représente la vision que Jean Grey a des nombreux mutants morts pendant les événements de « Ultimatum« . C’est donc un festival de mutilations et de blessures fatales, infligées à une galerie familière dans laquelle on reconnaitra Wolverine, Cyclops, le Professeur Xavier, Magneto, Nightcrawler, The Blob, etc.

Outre le choix d’un angle en plongée pas simple à exécuter, Arthur Adams n’épargne pas ses efforts pour donner à chacun une posture variée et son lot de détails spécifiques, notamment dans les costumes. On notera aussi le soin apporté au respect des morphologies très différentes et ce petit jeu consistant à mettre des têtes de l’Homme Multiple MADROX un peu partout !

5/ Entre ligne claire et ultra-texturisation

Ultimate comics X : origins par Arthur Adams - Sabretooth
Ultimate comics X : origins par Arthur Adams – Sabretooth

Ce qui est parfois étonnant avec les planches d’Arthur Adams, c’est qu’on constate la quantité importante de détails mais on a aussi le sentiment de voir un dessin aéré, presque en ligne claire. C’est en réfléchissant un peu plus à cette impression contradictoire que j’ai commencé à remarquer un truc qui le différencie de Jim Lee : Adams laisse beaucoup d’espaces vides, y compris dans ses personnages.

Prenons, par exemple, Victor Creed alias Sabretooth, au centre de l’image. A priori, il est super-détaillé. Mais si on l’examine bien, on voit que ce sont surtout son manteau, son visage, ses mains et ses chaussures qui le sont. Les autres zones de son corps, les cheveux, la chemise, le pantalon, le sont beaucoup moins ! Cet équilibre parfait permet aux lecteurs de ne pas se perdre dans un vision trop complexe et de garder une compréhension globale de la scène.

Amusez-vous alors à regarder les autres parties de l’image et vous verrez qu’il fait très souvent cohabiter ainsi un élément détaillé et un autre plus épuré. Ce dosage incroyable assure donc une lisibilité de tous les instants, chose qui était moins évidente à l’époque de ses premiers travaux (notamment sur Longshot.).

6/ La bataille entre les traits et la couleur

Ultimate comics X : origins par Arthur Adams - Confrontations
Ultimate comics X : origins par Arthur Adams – Confrontations

Coloriser Arthur Adams ne doit pas être une mince affaire. Ici, c’est Peter Steigerwald qui s’y colle et il serait malhonnête de dire qu’il ne fait pas un bon boulot. Globalement, Ultimate comics X : origins bénéficie de couleurs modernes, pas trop flashy et contribuant à l’ambiance des scènes, notamment lorsqu’il fait nuit ou qu’il pleut.

Mais je n’ai pas pu m’empêcher de penser qu’à certains moments, cette colorisation très sophistiquée ne venait pas forcément complimenter le dessin d’Arthur Adams. Ici, par exemple, je trouve que les « effets spéciaux » d’énergie ou de lumière surchargent inutilement, voir nuisent à la lisibilité du trait. Je suis aussi mitigé quant à l’ajout d’ombres supplémentaires par le coloriste. Adams sait parfaitement gérer ses aplats de noir et hachures pour donner du volume et signifier les éclairages. Était-il utile d’ajouter encore plus d’ombres ? Je comprends tout à fait la logique mais cela ajoute, selon moi, une ambiance trop marquée qui vient se superposer violemment à celle créée par le dessinateur.

7/ Beaucoup de flammes et de fumée

Ultimate comics X : origins par Arthur Adams - Incendies
Ultimate comics X : origins par Arthur Adams – Incendies

Comme je l’ai mentionné plus haut, Arthur Adams est réputé pour son intense attention aux détails lorsqu’il s’agit de suggérer des textures de matière. Mais une autre de ses caractéristiques est d’utiliser des techniques de « cross-hatching » pour travailler les volumes. Basiquement, il s’agit de croiser des traits en variant les angles et la densité, pour simuler des dégradés et ainsi suggérer de l’épaisseur. Même si beaucoup d’artistes l’ont utilisée avant lui, c’est Jim Lee qui a sans doute le plus popularisé cette technique dans les comics. Ce qui a engendré, dans les années 90, un usage abusif et pas toujours maitrisé de cette multiplication de traits par certains dessinateurs.

Arthur Adams y recourt surtout dans les commissions noir et blanc qu’il réalise ou pour des couvertures. En effet, cela prend un temps de dingue et ce n’est donc pas adapté au rythme de comics mensuels ou même bimestriels. Pour en voir quelques exemples, je vous invite à aller jeter un œil aux vidéos que j’ai consacrées à son sketchbook n°07 et à son sketchbook n°08.

Ici, on retrouve cette technique essentiellement pour la gestion de la fumée de l’incendie. Partant du principe que la source de lumière vient des flammes (donc du bas), il va épouser les contours des formes de la fumée pour leur donner de la rondeur avec ces traits croisés. Un petit travail de patience mais qui paie car l’explosion n’a l’air que plus impressionnante.

8 / Une violence très graphique

Ultimate comics X : origins par Arthur Adams - Combats de griffes
Ultimate comics X : origins par Arthur Adams – Combats de griffes

Arthur Adams s’est généralement illustré sur des séries légères, sinon classiques en matière de super-héroïsme. Même lors de son passage sur the Authority, cela restait relativement sobre, sans une profusion de sang ou de tripes. Pourtant, comme on peut le voir ici, la précision de son trait et son sens du détail font des merveilles pour rendre la sauvagerie du combat opposant le jeune Jimmy Hudson à Victor Creed.

Des entailles profondes aux gerbes de sang, l’artiste parvient – tout en restant raisonnable – à mettre en scène les impacts de griffes en tout genre et les dégâts qu’elles laissent sur les corps. Cela m’a agréablement rappelé le travail tout aussi tachant et attachant de Ryan Ottley sur l’incroyable série Invincible.

A noter que, là encore, la couleur me semble un peu atténuer le « gore » de la scène, notamment en case 1. Car en y regardant de plus près, j’ai l’impression que plusieurs éclaboussures de sang ont été colorisées comme le pull de Jimmy, pour ne pas trop montrer qu’il s’agit d’une éviscération en bonne et due forme !

Dommage car l’impact de cette scène aurait été décuplée si sa violence y avait été davantage assumée.

9 / Les corps à la limite du cartoon

Ultimate comics X : origins par Arthur Adams - Hulk entre en scène
Ultimate comics X : origins par Arthur Adams – Hulk entre en scène

Je faisais juste avant un petit parallèle entre la représentation du gore par Arthur Adams et celle par Ryan Ottley. Mais il y a, selon moi, un autre point commun entre les deux : cette petite touche d’exagération caricaturale dans la représentation des personnages, notamment dans les visages et les silhouettes. Comme dans la série super-héroïque de Robert Kirkman, Adams dessine des colosses extra-larges aux proportions titanesques par rapport aux humains normaux. Et il pousse aussi un peu les curseurs de l’exagération pour la plupart des personnages, notamment dans leurs courbes, qu’elles soient des seins, des fesses ou des bourrelets !

Mais cette approche légèrement cartoonesque se retrouve surtout au niveau des visages. Cette page en donne deux bons exemples : tout d’abord, avec la déformation rigolote du visage de Creed sous l’impact du coup, puis avec le faciès souriant d’Ultimate Hulk qui le lui a asséné. Cette sur-expressivité donne beaucoup de charme aux dessins d’Adams car elle contraste avec l’aspect souvent monolithique que beaucoup d’artistes donnent à leurs héros. Comme Michael Golden, Arthur Adams a mis en place des codes graphiques lui permettant de rester réalistes MAIS de booster l’expressivité de ses personnages. Il s’agit notamment des yeux très ronds, des nez légèrement allongés et surtout des bouches larges et/ou charnues.

10/ Parce qu’ils le valent bien…

Ultimate comics X : origins par Arthur Adams - Des coiffures variées
Ultimate comics X : origins par Arthur Adams – Des coiffures variées

Je terminerai avec un dernier truc que j’aime beaucoup dans le style d’Arthur Adams : la façon dont il dessine les cheveux ! Mixant allègrement des représentations à grandes mèches pointues façon manga ou des versions plus détaillées, l’artiste propose à chaque fois une grande variété de coupes. Cela peut paraitre anodin (et normal) mais ce n’est pas aussi fréquent que ça : regardez comment beaucoup de dessinateurs font les cheveux longs des personnages féminins et vous verrez qu’il n’y a souvent que 2 ou 3 styles de coiffures.

Adams, lui, travaille les boucles, les textures, les franges, les dégradés et les pointes car il sait que cela fait partie intégrante de la caractérisation physique d’un personnage. D’ailleurs, sa Jean Grey est, à ce titre, assez renversante capillairement parlant, alors qu’elle est privée de sa belle couleur rousse !

En conclusion

On ne va pas se mentir, je ne vais pas vous recommander Ultimate comics X : origins pour le scénario. Ce n’est pas une mini-série qui restera dans l’histoire même si elle se lit avec un plaisir modéré. Elle manque notamment de la touche émotionnelle que Jeph Loeb a su insuffler à ses meilleures histoires, chez Marvel mais surtout chez DC. Ce comics mérite cependant un achat ou un coup d’œil pour le magnifique rendu des planches d’Arthur Adams. Ce dernier étant rare dans son travail séquentiel, cela vaut toujours le coup de s’y plonger. Mais à choisir, je vous recommanderai plutôt de mettre la main sur la magnifique série Jonni Future ou sur son « creator-owned », le trop vite oublié Monkeyman and O’Brien (Legend / Dark Horse).