Excalibur par Alan Davis (Marvel – Epic Collection T1)

Comme beaucoup de lecteurs français, j’ai découvert le génial Alan Davis à l’occasion du lancement de la série EXCALIBUR, via un album de la ligne « récit complet Marvel » (« The Sword is drawn » en VO) puis grâce à la parution de la série dans le défunt magazine Titans. Inutile de préciser que l’artiste a immédiatement rejoint mon Top 10 des dessinateurs de l’époque.

Avec son style fluide, élégant, dynamique et moins sage qu’il n’y parait, Alan Davis s’est rapidement imposé aux côtés de John Byrne et Georges Perez comme une star des années 80-90. Aujourd’hui, je vous propose une petite analyse de son style graphique à travers 10 pages extraites de ce premier tome scénarisé par Chris Claremont et mettant en scène les aventures de Captain Britain, Meggan, Nightcrawler, Kitty Pride, Rachel Summers et bien sûr, le dragon Lockheed.

1/ Le Diablo sort de sa boite

Excalibur par Alan Davis (Marvel) - Diablo à l'entraînement
Excalibur par Alan Davis (Marvel) – Diablo à l’entraînement

Alan Davis est réputé pour savoir dessiner des versions agréables à l’œil de chaque personnage. Son sens de l’anatomie et l’élégante simplicité de ses lignes le rendent particulièrement apte à représenter les super-héros dans leurs costumes les plus classiques (comme son passage chez DC le prouvera, et je reviendrai vous parler de THE NAIL, un jour.).

Mais dans EXCALIBUR, son talent bénéficie beaucoup à Kurt Wagner, alias Nightcrawler (Diablo en français). Exploitant les talents acrobatiques du personnage, Davis sublime ses postures bondissantes et ses aptitudes d’escrimeur.

Il trouve aussi une façon de designer son visage démoniaque pour lui donner davantage de charme, de noblesse et surtout de maturité, crédibilisant ainsi son ascension vers le leadership qu’il prendra plus tard.

2/ Des designs raccords avec les personnalités

Excalibur par Alan Davis (Marvel) - Retrouvailles
Excalibur par Alan Davis (Marvel) – Retrouvailles

Au premier abord, lorsqu’on découvre l’alliance improbable des héros qui vont former EXCALIBUR, on peut se demander comment ils vont bien pouvoir fonctionner ensemble. En effet, si Kurt, Rachel et Kitty se connaissent déjà bien, on sent qu’ils ne sont pas aussi liés avec Brian Braddock (Captain Britain) et sa fiancée, Meggan. Claremont caractérise d’ailleurs très bien chaque personnage et montre la complexité de leurs relations.

Alan Davis va bien évidemment contribuer à cela par sa façon de représenter chaque membre de l’équipe. Son Captain Britain est physiquement impressionnant mais sa chevelure en bataille et ses traits du visage traduisent son caractère impétueux et colérique. Il dessine aussi Meggan comme une parfaite femme-enfant, sculpturale de corps mais presque juvénile et crédule dans ses expressions faciales. Rachel est croquée comme la grande sœur un peu rebelle et protectrice, jamais sexualisée et un peu violente.

Kurt est indéniablement le plus adulte du groupe et cela se traduit par le fait qu’on le voit souvent debout, se tenant droit, et pas seulement accroupi comme chez Byrne. Enfin, Kitty est l’âme et le cœur du groupe et la jeune femme la plus « normale » dans le lot. Elle ne porte jamais de costume d’héroïne (où alors c’est pour la dérision) et Davis lui donne juste ce qu’il faut de maturité dans le visage pour qu’elle ne soit plus considérée comme la petite dernière des X-Men.

3/ L’incroyable expressivité des personnages

Excalibur par Alan Davis (Marvel) - Râteau par Rachel
Excalibur par Alan Davis (Marvel) – Râteau par Rachel

Même s’il dessine indéniablement des visages plutôt réalistes, Alan Davis a su travailler les traits pour leur donner le maximum d’expressivité. A la manière d’un Kevin Maguire sur Justice League International, il ne manque jamais une occasion d’exagérer un peu les expressions à la limite de la caricature pour accentuer les émotions et surtout, le « jeu » des personnages.

Ce sont principalement les yeux et la bouche qui sont mis à contribution. Davis sait quand simplifier les premiers et les réduire à de simples traits et points noirs afin de traduire correctement ce qu’il veut, y compris sur des petites cases. Mais c’est surtout la bouche des personnages qui est importante. Alan Davis en maitrise à la perfection les nombreuses formes et notamment ce fameux sourire « ultra bright » qui peut être séduisant ou stupide, selon les cas.

Je vous invite aussi à prêter attention aux mains des personnages, éléments essentiels quant il s’agit de donner une impression de vie naturelle. Davis fait probablement les plus belles mains qui soient, notamment chez les femmes.

4/ Un storytelling si fluide

Excalibur par Alan Davis (Marvel) - Filature
Excalibur par Alan Davis (Marvel) – Filature

Chris Claremont était réputé pour bien charger ses scripts, que ce soit en dialogue, captions ou scènes par page. Une habitude poussée parfois jusqu’à l’excès par le scénariste, avec notamment ces fameux monologues de 20 lignes déclamés par les personnages alors qu’ils exécutent un mouvement censé être rapide ! Il fallait donc de sacrés storytellers pour arriver à retranscrire tout cela de manière fluide et même des pointures comme Jim Lee s’y sont un peu casser les dents (cf la différence de découpage entre ses Uncanny X-Men et ses premiers numéros d’X-Men.).

Mais Alan Davis est de la vieille école, celle qui savait rendre des dessins particulièrement attractifs sans jamais sacrifier la fluidité de l’histoire pour une pin-up d’une demi-page. Dans cette planche, on le voit choisir les meilleurs cadrages possibles et livrer 7 panels suffisamment détaillées et lisibles. Chaque forme de cases est ainsi parfaitement adaptée comme celle, horizontale, montrant le Lycaon sortant de sa « peau humaine ». Cela créé ici un effet de « pause » dans cette scène de filature.

J’aime aussi des petits détails comme le fait que Kurt soit dessiné juste avant qu’il ne touche le sol dans l’avant-dernière case ou le fait que la posture cambrée du Lycaon est accentuée par la courbe du tunnel afin de renforcer la menace imminente pesant sur Nightcrawler. Bref, tout est d’une limpidité incroyable et d’une apparente simplicité.

5/ Une petite leçon de petits mouvements

Excalibur par Alan Davis (Marvel) - Début de chasse
Excalibur par Alan Davis (Marvel) – Début de chasse

Alan Davis est un dessinateur assez classique, au bon sens du terme. Mais il est clair qu’il n’a pas intégré, au fil des années, dans son style, des éléments de langage narratif d’autres influences comme le manga ou l’anime, par exemple. Ainsi sa représentation de la vitesse et du mouvement reste dans les codes habituels du comics. Mais ses dessins sont cependant loin d’être statiques.

Il y a souvent dans les planches de Davis ce que j’appelle des « petites dynamiques », c’est-à-dire des petits éléments discrets mais qui renforcent la sensation permanente pour le lecteur de voir quelque chose qui vit. Cette page fournit ainsi plusieurs exemples. Dans la case 1, c’est la main de Meggan qui vient se poser sur le dos de Brian, le doigt légèrement levé. Dans les 2 et 3, c’est le crépitement que l’on devine autour de la projection télépathique de Rachel. Puis, pour la transformation de Meggan, on remarquera, en plus des changements de traits évidents, le jeu sur le poing qui se ferme en case 4, se resserre en case 5 et s’ouvre pour dévoiler des griffes en case 6.

Enfin, la dernière case capture à la perfection le mouvement des héros, avec notamment cette posture aérienne de Captain Britain qui semble flotter vers nous. Bref, ce sont pour moi toutes ces petites choses, parfois oubliées par les artistes, qui donnent très souvent beaucoup de dynamisme aux pages d’Alan Davis.

6/ L’impact de l’anatomie

Excalibur par Alan Davis (Marvel) - Punch
Excalibur par Alan Davis (Marvel) – Punch

Je mentionnais plus haut la stature imposante qu’Alan Davis donne à Captain Britain et cette planche rend magnifiquement justice à la puissance du « superman » britannique. Mais arrêtons-nous quelques secondes pour essayer de comprendre ce qui donne ici ce sentiment de force incroyable.

Il y a tout d’abord, l’anatomie du personnage. Avec son torse immense, ses bras et surtout ses cuisses imposantes, il ne laisse aucun doute sur sa force physique. Mais c’est aussi cette légère exagération de sa largeur d’épaules par rapport à son tour de taille qui lui donne cette allure de tank vivant.

On peut aussi noter que le casque joue un rôle : avec ce crâne profilé et d’un bloc, complété par un protège-menton proéminent, on a presque la sensation de voir un joueur de football américain s’élancer vers son adversaire pour lui mettre un coup de tête.

Enfin, Alan Davis a très bien compris que la force d’un héros se ressent surtout à la vision des dégâts qu’elle occasionne. Ce coup de poing qui vient ainsi littéralement enfoncer la gueule du Lycaon dans son corps est d’une violence toute cartoonesque qui n’en demeure pas moins impressionnante.

7/ Un dessinateur de comédie

Excalibur par Alan Davis (Marvel) - Folie à plusieurs
Excalibur par Alan Davis (Marvel) – Folie à plusieurs

EXCALIBUR se distinguait beaucoup des titres X-Men par l’humour fréquent que Claremont et Davis injectaient dans l’histoire. Entre adversaires burlesques et comique de situation, les épisodes possédaient souvent un ton décalé qui rendait cette série aussi attachante qu’originale.

Et force est de constater que Davis était un excellent choix pour ce type de comics car il possède un vrai talent pour la comédie. Tout d’abord, il reste toujours en équilibre entre crédibilité de l’anatomie et postures cartoonesques. Dans la page ci-contre, la scène « mordante » avec Captain Britain semble toute droite sortie d’un dessin animée.

Cette impression est ensuite confirmée par les attitudes des personnages qui marchent dans la dernière case. Leurs silhouettes variées se courbent et s’étendent pour forcer le trait de leurs démarches et états émotionnels.

C’est d’ailleurs un petit miracle que Davis arrive à se permettre de flirter ainsi avec la caricature, tout en pouvant revenir, en quelques cases, à du comics plus traditionnel et « sérieux ». Cela donne à la série une plus grande pluralité d’ambiances, une qualité rare à l’époque.

8/ De très belles personnes ;O)

Excalibur par Alan Davis (Marvel) - Le Diablo s'habille en Prada
Excalibur par Alan Davis (Marvel) – Le Diablo s’habille en Prada

Je pourrais vous dire que j’ai choisi cette planche pour l’incroyable façon dont Alan Davis dessine Kitty Pryde et son épaisse chevelure (personne ne le fait mieux que lui).

Je pourrais aussi prétexter que c’était pour montrer comment l’artiste arrive à rendre sexy aussi bien ses personnages féminins que masculins, offrant ainsi du « eye candy » pour tout le monde.

Je pourrais enfin revenir sur le fait que même chargées de dialogues, les pages de Davis ne sont jamais statiques, même lorsque les personnages n’y font que parler. Tout repose ici sur le placement qu’il adopte pour chacun et la façon dont il joue sur le comportement de Kurt à l’égard de Meggan pour rapprocher puis éloigner le groupe.

Mais en fait, j’ai choisi cette page pour vous montrer qu’Alan Davis est tellement doué qu’il peut mettre une chemise de Francis Lalanne sur Nightcrawler et ça fait quand même classe…

9/ Pas que de la ligne claire

Excalibur par Alan Davis (Marvel) - Un, deux, Freddy te coupera en deux...
Excalibur par Alan Davis (Marvel) – Un, deux, Freddy te coupera en deux…

Cette page se trouve dans le superbe épisode entrainant l’équipe à New York, alors que le crossover Inferno bat son plein. Pour mémoire, il s’agissait d’un long event de l’univers mutant mais qui contaminait les autres séries. On y voyait la ville sombrer dans une version cauchemardesque d’elle-même, peuplée de démons et autres créatures délirantes en tout genre.

L’équipe d’Excalibur se retrouve dispersée et Kitty doit faire face à un pseudo-Freddy Krueger (Nightmare on Elm Street). Cette traque digne des slashers les plus connus est l’occasion de voir qu’Alan Davis sait aussi gérer des ambiances plus glauques et violentes. Sans changer son style ni demander à son encreur d’alourdir son trait, il traduit très bien la dimension horrifique de la scène en utilisant davantage d’aplats de noir et en texturant un peu plus le faciès grimaçant du tueur et son gant tranchant.

Enfin, c’est un détail, mais j’aime beaucoup le petit effet de brume que Davis fait en bas de la dernière case, uniquement avec des hachures. Classique mais efficace.

10/ Donner de la vie par la mise en scène

Excalibur par Alan Davis (Marvel) - Entrainement
Excalibur par Alan Davis (Marvel) – Entrainement

Enfin, je terminerai avec cette page qui a déjà le mérite de cumuler la plupart des points forts de Davis que j’ai mentionnés précédemment : les expressions faciales subtiles, les postures de corps signifiantes, les personnages embellis et une mise en scène jouant habilement sur les petites dynamiques (comme ce Captain Britain qui semble trébucher, par exemple).

Mais j’aime aussi le fait qu’elle montre, à plusieurs reprises, comment Alan Davis construit une série de cases fonctionnant sur la profondeur de champ et le jeu entre les premiers et arrière-plans.

Cela a l’air de rien mais c’est loin d’être évident, car l’artiste doit : 1/ trouver les bons angles et les bonnes proportions pour s’assurer que ce qui se passe au fond soit lisible et 2/ veiller à ce que la chronologie de la scène soit respectée et claire. Il faut alors s’assurer de ne pas perdre le lecteur si ce dernier doit lire en premier ce qui se passe à l’arrière plan. Bref, c’est encore une fois une démonstration discrète mais certaine de l’incroyable talent de ce dessinateur anglais.

En conclusion

Excalibur représente un pic dans la carrière d’Alan Davis (et notamment lorsqu’il reviendra plus tard, vers les numéros 50, en assurant à la fois le scénario et le dessin.). Si l’artiste a continué par la suite à peaufiner son style, il n’a jamais réussi, selon moi, à le faire passer à stade supérieur (mais le pouvait-il vu le niveau, déjà constaté, ici ?). J’avoue aussi que son storytelling récent m’a parfois paru moins intéressant, notamment lorsqu’il déstructure beaucoup ses pages. Mais Alan Davis reste un des meilleurs parmi les meilleurs et je ne peux que vous encourager vivement à vous jeter sur Excalibur et sur ses autres travaux, comme Clandestine et The Nail chez DC Comics.

Excalibur par Alan Davis (Marvel) - Couverture iconique
Excalibur par Alan Davis (Marvel) – Couverture iconique

4 thoughts on “Excalibur par Alan Davis (Marvel – Epic Collection T1)

  1. Laurent Lefeuvre says:

    Bonjour,
    vos articles (j’ai lu aussi le Jim Lee mis en lien dans celui-ci) sont absolument inspirés et justes. Je partage vos points de vue sur ces dessinateurs.

    Que ce soit en franco belge ou en comics, il est malheureusement rare de lire des analyses du dessin, et pas des résumés d’histoires, ou des commentaires de scénario.

    Or, le dessin, le storytelling, le rythme des cases, la pantomime, l’encrage, les designs, etc… tout ça est aussi important à une page de bande dessinée… que le travail de mise en scène dans l’efficacité d’une séquence, d’un film.

    Bref, juste, je voulais vous dire, bravo !

    1. Style Comics says:

      Bonjour Laurent. Un GRAND MERCI pour votre commentaire… qui est le premier commentaire de mon blog ! ;D. Je suis ravi que vous vous retrouviez dans ce petit projet consacré à l’art graphique des comics. J’ai effectivement trop souvent vu les discussions ou critiques se limiter au fait d’aimer l’histoire ou telle ou telle interprétation d’un personnage connu. Or moi, je suis plus souvent intéressé par la narration visuelle, la qualité du trait, les compositions, etc. C’est l’immense richesse du comics qui est là, sous nos yeux mais qui, malheureusement, passe trop inaperçue. N’hésitez donc pas à venir me dire ici ou sur YT ce qui vous plait aussi dans l’art graphique de tous ces artistes !

      PS : Oh, et si par hasard vous êtes LE Laurent Lefeuvre, auteur du superbe Fox Boy, sachez que je prévois de bosser à la rentrée sur une petite étude des 3 tomes que je vais (enfin) pouvoir avoir ! J’ai déjà parcouru plusieurs pages et j’ai mille trucs (positifs) à dire !!!

  2. Jerome ZeFrenchGeek says:

    Allons bon, moi qui voulais être le premier à commenter sur ton blog, je me fait griller par le Garçon Renard, ha ha
    Par contre, y a quand même un soucis : je vois ici une option pour écrire un commentaire (suite à la création des 2 premiers, je présume) mais toujours pas d’option commentaire sur tes autres entrées de blog. J’utilise Chrome sur un Mac, et je poste régulièrement dans d’autres blogs créés avec WordPress, c’est quand même bizarre cette affaire…

  3. Style comics says:

    Ceci est un test pour les commentaires.

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