Jim LEE – Analyse de son style

Personne ne peut contester que Jim Lee a marqué l’histoire du comic book avec son travail sur X-Men 01 (1991). Pas seulement par sa sublime couverture en plusieurs volets. Pas seulement non plus par l’avalanche dans ses pages de poses iconiques, mille fois copiées par tous les artistes en herbe. Pas même par le nombre astronomique de copies vendues.

Non. Jim Lee a, pour moi, marqué l’histoire comme un big bang artistique à la fois positif et négatif, élevant la barre très haut artistiquement mais engendrant aussi pléthore de tics graphiques ringards. Voici donc ce que j’aime et n’aime pas dans le style graphique de Jim Lee.

Bibliographie sélective (<< slidez)

Et aussi : Punisher : War Zone, Divine Right, Superman : for Tomorrow, Stormwatch, Deathblow

J’AIME – L’anatomie massive et dynamique

X-Men 01

Jim Lee excelle dans la représentation de corps puissants, massifs. Si, comme tous les artistes, il n’a pas commencé en maitrisant parfaitement l’anatomie de ses héros, il a rapidement progressé, notamment lors de son passage sur le Punisher : War Zone, avant d’atteindre des sommets lors de ses derniers épisodes d’Uncanny X-Men.

A la manière de John Byrne, Jim Lee a réussi à créer sa propre façon de représenter le corps humain en privilégiant un rendu en volume exagéré mais crédible des muscles.

Batman : Hush

Ses hommes ont des cages thoraciques et des biceps énormes, bien souvent soutenus par des cuisses et des mollets épais. Les femmes, elles, sont construites en sablier, avec une taille très fine, une poitrine généreuse et rigide, et une chute de reins marquée.

Ce rendu de l’anatomie donne ainsi aux lecteurs à voir des personnages à la perfection mythologique et donc immédiatement impressionnants, ce qui convient bien au genre super-héroïque.

JE N’AIME PAS – Des corps pas assez variés

Justice League

Si Jim Lee a un vrai savoir-faire en matière de surhommes, il semble néanmoins moins à l’aise avec les personnages de tous les jours. Il est ainsi rare de le voir varier les silhouettes et corpulences, sauf à forcer le trait avec des personnages très gros ou très maigres.

Chez DC comics, par exemple, les membres masculins de la Justice League semblent ainsi avoir tous les mêmes proportions.

WildC.A.T.s 01

L’artiste peine de la même manière avec ses héroïnes, bien souvent toutes dotées des mêmes mensurations.

Et que dire des personnages de petite taille : dans Wild C.A.T.S, il a du mal à crédibiliser les proportions de Jacob Marlowe et chez DC, son Robin ressemble plus souvent à un adulte réduit qu’à un jeune garçon.

J’AIME – Des poses iconiques et impactantes

X-Men 01

Comme je le disais en introduction, Jim Lee a été le mètre-étalon dans les années 90 en matière de postures cools de personnages. Son run sur les Uncanny X-Men et X-Men s’est peuplé rapidement de poses outrageusement belles, dynamiques, immédiatement faites pour être mises en poster.

Je trouve qu’il est d’ailleurs, avec Arthur Adams et John Byrne, le dessinateur qui a le plus donné d’images emblématiques de Wolverine.

WildC.A.T.s

Bien évidemment, ce talent n’est pas le fruit du hasard. Jim Lee a souvent expliqué (dans les pages du How to Draw de Wizard ou dans les vidéos de sa chaine Youtube) comment il travaillait ses lignes de force et ses raccourcis dans l’anatomie pour accentuer au maximum la puissance d’une pose.

Il est d’ailleurs, selon moi, bien meilleur pour les personnages immobiles qu’en mouvement…

JE N’AIME PAS – Son storytelling trop figé

Cette capacité à créer des images iconiques de personnages a eu très rapidement un effet négatif sur le découpage des planches.

Jim Lee semble avoir cherché à construire son découpage autour de ces éléments clefs de son succès, quitte à sacrifier un peu les actions des autres cases.

X-Men 01

Il n’était donc pas rare de de voir que Lee avait choisi de construire sa page autour de la case pouvant donner lieu à la meilleure pin up, même si cela donnait de l’emphase au moment le moins impactant de l’action.

Cette tendance a, peut-être, aussi été dictée par la vente des planches originales – grosse source de revenus potentiels pour les artistes de l’époque – car il est clair que de telles images fortes en augmentaient la valeur.

J’AIME – Des personnages sublimés

Superman : for tomorrow

Il est très rare que Jim Lee ne livre pas une version embellie d’un personnage. Ses héros et héroïnes possèdent toujours de très beaux visages, des chevelures travaillées et des yeux soigneusement dessinés.

Il leur donne la même beauté que les sculpteurs classiques donnaient aux figures de la mythologie grecque ou romaine. Chez Jim Lee, même les monstres sont d’un esthétisme tel qu’ils ne paraissent ni sales, ni réellement déformés ou horribles.

Uncanny_X-Men_Vol_1_275_Full_Cover
Uncanny_X-Men_Vol_1_275_Full_Cover

C’est indéniablement ce qui a fait son succès dans les années 90. S’il a marché sur les traces de dessinateurs prestigieux dans la série Uncanny X-Men, il a rapidement proposé la version la plus « ultime » de chaque personnage, quitte à les trahir un peu en faisant, par exemple, de Scott Summers (Cyclope) une armoire à glace et de Rogue une magnifique femme loin de son look « garçonne » de ses débuts.

JE N’AIME PAS – Tout le monde se ressemble un peu trop

Comme tous les dessinateurs, Jim Lee a adopté des automatismes de construction de ses personnages. Mais cela a abouti, selon moi, à une sorte de routine, notamment au niveau des visages.

Difficile ainsi de distinguer Bruce Wayne, Cyclope, Superman au niveau des visages s’il n’y avait pas quelques petits détails par-ci par-là. Les nez, les yeux et la bouche sont souvent les mêmes et Lee se repose beaucoup sur les coiffures et masques pour distinguer ses héros.

Le constat est le même sur ses personnages féminins et j’ai eu l’impression, au fil des années, de deviner à l’avance à quoi aller ressembler un personnage dessiné par Jim Lee.

C’est d’autant plus flagrant quand il fait des images de groupes, je trouve. Du coup, je ne suis plus vraiment surpris par ses représentations, sauf si le personnage possède un look qui le sort de sa zone de confort.

J’AIME – Des superbes designs de technologie

Lorsque j’ai découvert vraiment Jim Lee, c’était dans la saga Sh’iar dans Uncanny X-Men 275. Et autant dire que sa façon de dessiner la technologie et les armes m’a marqué à vie. En dehors de Kirby (qui designait des machines connues d’aucun autre humain que lui et de John Byrne), la plupart des dessinateurs de comics faisaient, selon moi, une représentation classique, voire vieillotte, des machines de science-fiction. Mais pas Jim Lee.

Puisant dans différentes influences et notamment le manga (Masamune Shirow sans doute), l’artiste a su proposer des designs high tech originaux, racés et apportant immédiatement beaucoup de modernité.

La création de l’univers très SF de Wildstorm lui a d’ailleurs permis d’aller encore plus loin dans ce sens et ses pages de Wild C.A.T.S et Stormwatch regorgent d’équipements très cools.

JE N’AIME PAS – Ses designs de costumes

Je vais devoir vous faire une confession : lorsque j’ai découvert les personnages de Wild C.A.T.S, j’ai adoré leurs designs ! Ils étaient à mes yeux une très bonne modernisation des traditionnels costumes en spandex des héros de Marvel et DC.

Les héros portaient effectivement des tenues moulantes et colorées mais Jim Lee les avait accessoirisés de technologie, armes, armures et autres manteaux leur donnant un style qui deviendra emblématique de l’époque.

Justice League

Mais la suite de ses travaux a été moins glorieuse. Ses protagonistes de Stormwatch étaient assez horribles au départ et ce ne sont pas ceux de Divine Right qui sont venus rattraper le coup avec leurs anges en armures et leurs femmes militaires bad-ass.

L’ultime outrage est arrivé, pour moi, avec le redesign des héros de la Justice League. Chargés de traits inutiles ou d’éléments d’armure hors sujets, Jim Lee a, selon moi, inutilement complexifié et dévalué des designs iconiques qui n’en demandaient pas tant.

J’AIME – Un sens du détail incroyable

Un dessin de Jim Lee est une épreuve de force pour un encreur et il faut bien toute la vaillance de Scott Williams pour en venir à bout. Car l’artiste multiplie les hachures, les traits et autres « picots » pour marquer ses volumes, ses textures et ses reflets.

Contrairement à pas mal de ses contemporains, Lee ne rechigne pas à détailler ses décors et offre régulièrement des superbes plans de buildings très réalistes.

Cette frénésie visuelle se retrouve d’ailleurs au niveau de ses crayonnés. C’est un vertigineux amas de lignes qui reste parfaitement cohérent et qui révèle comment Jim Lee donne cette impression permanente de volume en sculptant les formes à l’aide de tous ces traits.

Un style souvent imité mais jamais égalé, même par des disciples consciencieux comme Brett Booth.

JE N’AIME PAS – Un style graphique qui stagne

Sans doute accaparé par ses autres fonctions managériales au sein de DC Comics, Jim Lee ne dessine plus à plein temps, à l’exception des Live stream qu’il fait sur sa chaine Youtube (passionnants à regarder, même si un peu longs parfois).

Pourtant, cela fait très longtemps que je trouve que son style n’évolue plus vraiment de façon intéressante. Contrairement à d’autres artistes qui ont continué à se challenger, Lee semble se reposer sur ses acquis et dérouler « son jeu » sans sortir de ses fondamentaux.

Son run sur Batman était solide, professionnel mais n’a pas été une révolution visuelle comme ont pu l’être The Dark Knight returns, Batman Year One ou The Long Halloween. Et j’ai trouvé la suite de ses travaux chez DC corrects mais très ennuyeux.

C’est d’autant plus flagrant sur Justice League qu’il est suivi par les immenses Ivan Reis et Jason Fabok qui ont les mêmes forces que lui mais en plus moderne et plus dynamique.

Elle semble donc loin l’époque de Deathblow, où il essayait de reprendre à son compte le style de Franck Miller sur Sin City en y ajoutant son sens du détail.

Même si ce style était trop ouvertement « inspiré de », il avait eu le mérite de pousser Jim Lee a utilisé ses talents graphiques d’une autre façon.

Il s’est ainsi peu confronté à d’autres genres (à l’exception d’une petite histoire dans l’anthologie Flinch) alors qu’il aurait sans doute été intéressant sur des séries criminelles comme celles écrites par Ed Brubaker.

Mais peut-il encore évoluer graphiquement ? Et surtout, y a-t-il un intérêt à le faire, tant la popularité de son style reste haute ? Pas sûr, dans les deux cas.

Quel est donc le verdict ?

5 choses que j’aime, 5 choses que je n’aime pas dans le style graphique de Jim Lee.

Ce match nul résume bien ma posture aujourd’hui face au travail de cet artiste important, dont je possède la grande partie de la bibliographie (et parfois en plusieurs formats et versions !).

Je suis resté un fan mais qui relit plus souvent les anciennes œuvres que les plus récentes. Et surtout, je ne me précipite plus comme avant sur ce qu’il fait.

Il est indéniablement un dessinateur à connaître et un incontournable pour quiconque veut voir de belles pages ou couvertures de super-héros. Mais il ne semble plus avoir grand chose à offrir artistiquement. Mais…

Quand je tombe parfois sur un de ces dessins en noir et blanc qu’il a crayonné et encré lui-même, je me dis qu’il pourrait raviver ma flamme en livrant un jour un comics ou un album qui soit aussi brut dans son dessin que réfléchi dans son découpage.

Ainsi débarrassé des vestiges de ses tics de star des 90’s, je suis sûr qu’il serait capable de remontrer qu’il reste un des meilleurs, et pas seulement LE MEILLEUR d’une époque révolue.

Et vous, que pensez-vous du style graphique de Jim Lee (hier et aujourd’hui) ? Dites-le moi en commentaires !