John Romita Jr – KICK-ASS 1,2,3, The New Girl

Sur le papier, Kick-Ass avait tout pour être le hit qu’il est devenu. Outre la popularité de son scénariste Mark Millar, l’arrivée du légendaire John Romita Jr apportait une crédibilité supplémentaire au jeune label. Fort d’une carrière incroyable, avec une des évolutions artistiques les plus intéressantes qui soit, Romita Jr amenait avec lui aussi son expertise en matière d’histoires urbaines, réalistes et violentes, que les lecteurs avaient pu apprécier lors de ses passages sur Daredevil, notamment sur la mini-série de 1993 « Daredevil : L’homme sans peur » signée avec Frank Miller.


Si on ajoute à cela un concept aussi fun qu’en décalage avec les comics de super-héros habituels, il n’est pas étonnant de voir que les premières aventures de Dave Lizewski aient attiré l’attention de producteurs de film, avec le succès qu’on connait. Mais au-delà de cette hype (méritée ou pas), on peut se demander si les planches livrées par John Romita Jr sont ici à la hauteur de son talent.

Kick-Ass et Hit-Girl

Ce que j’aime

Il ne faut que quelques pages de lecture de Kick-Ass pour comprendre que John Romita jr était l’artiste parfait pour ce titre et cela pour trois raisons.

Tout d’abord, le dessinateur est très à l’aise dans les environnements urbains, et surtout New York où il réside. En quelques traits, Romita jr parvient efficacement à représenter les immeubles, les rues, les véhicules et il sait varier suffisamment les angles pour en offrir des perspectives aériennes impressionnantes ou en dépeindre la réalité crasseuse des ruelles et impasses. Il donne ainsi à Kick-Ass une patte immédiatement contemporaine, crédible et très terre-à-terre qui sied au sujet.


John Romita Jr fait aussi partie de ces rares artistes à posséder la capacité de proposer une large variété de personnages, qui peuvent aller du dieu à la carrure impressionnante au simple voisin maigrichon. Son approche très stylisée des designs lui permet de travailler les formes des corps pour renforcer ou diminuer facilement leur corpulence, leur musculature ou leurs courbes, ce qui fait que ses personnages sont rarement identiques.

Même chose au niveau des visages dont il varie souvent les traits, parfois à la limite de la caricature, il est vrai. La série se peuple alors d’une large galerie de protagonistes identifiables, dont certains ont des trognes bien mémorables, ce qui renforce encore plus la sensation de s’immerger dans un monde réaliste qui n’est pas peuplé que de mannequins de comic books.

Enfin, John Romita Jr est un excellent raconteur d’histoire et ses découpages sont généralement précis, clairs et dynamiques. Dans ses différentes interviews, il revendique d’ailleurs souvent cette volonté d’être un meilleur storyteller que dessinateur. Pour lui, le temps passé sur une planche doit être calé sur le respect des deadlines et cela explique beaucoup de choses dans son style graphique, que ce soit la simplification des formes ou le faible nombre de détails. En revanche, il porte généralement un soin méticuleux à son découpage, pensé pour maximiser l’impact de l’histoire et notamment des scènes d’action. Et inutile de préciser que Kick-Ass en bénéficie largement.


Avec son ultra-violence consommée et ses affrontements physiques intenses, le comics donne l’opportunité à John Romita Jr de jouer à fond sur la déformation des corps créée par les impacts. L’artiste multiplie aussi les cadrages aux axes diagonales marqués afin de renforcer chaque coup donné. Il transforme ainsi les combats en une succession de vignettes douloureuses, qui laissent parfaitement ressentir ce que le jeune Dave endure.

Et c’est là la plus grande force, selon moi, de Romita Jr sur ce titre : il nous fait ressentir viscéralement la violence subie par Kick-Ass. Là où celle infligée par Hit-Girl semble fun car exagérée dans le gore, la brutalité dont est souvent victime Dave fait mal à voir. John Romita Jr réussit ainsi à nous créer de l’empathie pour ce petit abruti qui s’acharne à vouloir jouer les héros malgré tout ce qu’il prend dans la gueule.

Enfin, je ne peux pas finir ce chapitre sans mentionner l’excellent travail du coloriste Dean White sur ce comics. Si je trouve qu’il est allé parfois trop loin dans la sur-colorisation des dessins de Romita Jr chez Marvel (sur Avengers, notamment), il est clairement ici le héros très discret qui donne à la série une qualité visuelle largement supérieure aux planches encrées. Gérant les ambiances lumineuses de chaque scène, il décuple aussi les impacts par des effets discrets et prend en charge l’absence fréquente de décors pour créer des textures intéressantes et urbaines.


Ce que j’aime moins

John Romita Jr fait partie de ses dessinateurs-stars du comics qui possède aussi son lot de détracteurs, notamment ses dernières années. Il y a ceux qui n’aiment pas son style graphique tout en « bloc », avec ses personnages massifs, aux genoux carrés. Il y a aussi ceux qui lui reprochent une stylisation trop importante des visages, de l’anatomie ou des décors, loin des canons modernes du comic book. Enfin, certains pointent du doigt l’aspect parfois « précipité » de ses crayonnés, qui laissent passer des yeux asymétriques, des expressions faciales étranges ou tout simplement des cases à peine remplies. Et si je trouve que souvent ces critiques sont exagérées ou ne prennent pas en compte, justement, l’approche stylistique de l’artiste, je dois admettre que Kick-Ass prête pas mal le flanc à ces reproches.


Le premier gros défaut qu’on peut y retrouver est celui de la représentation des jeunes adolescents. Dans la lignée d’autres maitres du comic book comme John Byrne ou Jim Lee, John Romita Jr semble galérer avec ces petits êtres aux proportions différentes des adultes classiques des comics. Leurs têtes sont ainsi généralement plus grosses que leurs corps et leurs traits traduisent difficilement leur jeunesse.

La pauvre Hit-Girl est sans doute celle qui souffre le plus de cette représentation. Romita Jr ne parvient jamais à poser un design réaliste de ce personnage. S’il évite, fort heureusement, la tentation de la féminiser de trop, voir de la sexualiser, il n’arrive pas à lui conférer autre chose qu’un corps qui semble fait en chewing-gum.

Les autres adolescents de l’histoire pâtissent quasiment tous du même problème et seul notre héros s’en sort à peu près, surtout lorsqu’il est en costume de Kick-Ass.


On constate aussi rapidement que John Romita Jr semble en « pilote automatique » sur ce titre. En dépit de l’extrême violence et du concept de l’histoire, tout parait déjà très familier, déjà vu. Les costumes sont à peine recherchés, les décors se résument aux habituels textures et accessoires et je ne peux pas dire qu’il y ait des pages qui m’aient arraché un « waouw » sous l’impact d’une claque graphique. Pourtant, John Romita Jr avait prouvé sur Thor et The Amazing Spider-Man qu’il était capable de livrer des planches impressionnantes, épiques et ambitieuses, malgré la contrainte inhérente au fait de dessiner deux séries mensuelles en même temps !

Ici, en revanche, l’artiste parait faire le strict minimum. Comme un comédien venu cachetonner dans un film en sortant les trois expressions faciales et les deux catch-phrases qui l’ont rendu autrefois célèbre. Kick-Ass et ses suites ne proposent pas de nouvelle évolution graphique, d’expérimentations et ne repousse aucune limite artistique de l’artiste.


Pire, le comics ne transpire pas la passion que j’ai pu sentir chez Romita Jr lorsqu’il s’appliquait sur des œuvres touchant aux mondes créés par Jack Kirby (Thor, The Eternals) ou sur des personnages qui lui parlaient à titre personnel (Daredevil, Spider-Man). Je m’attendais pourtant à trouver ce genre d’énergie dans une série en « creator-owned » dont l’artiste va posséder une part créative et financière. Mais ici, Romita Jr donne la sensation d’être plus que jamais en mode mercenaire, pressé de finir le boulot sans chercher à livrer une œuvre importante de sa carrière. Les mini-séries suivantes vont malheureusement renforcer ce sentiment, la dernière en date paraissant plus « rushée » que jamais.

Il plane donc sur Kick-Ass ce sentiment que l’artiste y est allé à l’économie et ce n’est pas forcément l’encrage fidèle mais sans plus-value de Tom Palmer qui change la donne ici. Sans doute peu aidé par les crayonnés très rapides de Romita Jr, Palmer alterne traits fins sans rigueur et traits épais incertains, sans réussir à ajouter de la force brut aux planches, comme le faisait par exemple Klaus Janson sur Romita Jr (qui corrigeait aussi les dessins de ce dernier lorsqu’il y avait des erreurs.).