Ascender – Par Dustin Nguyen

Dustin Nguyen continue son ascension

Ascender est une série de fantasy / science fiction sortie en 2019 chez Image comics. Elle se compose de 18 épisodes et sa publication s’achèvera avec un quatrième volume en octobre 2021. Ce comic book, fruit de la collaboration du scénariste Jeff Lemire et de l’artiste Dustin Nguyen, se présente comme la suite de leur précédente série, DESCENDER.

La suite de Descender

Si la première série se présentait comme un space opera mettant en scène la résistance de robots exterminés à travers la galaxie, sa suite rebat intelligemment les cartes et propose du changement dans la continuité.

Démarrant une dizaine d’années après la conclusion de DESCENDER, l’histoire d’ASCENDER capitalise sur la fin apocalyptique de la première série et dépeint un univers où la technologie est désormais bannie. Les civilisations extraterrestres se sont reconstruites sur des bases plus archaïques, évoquant davantage des mondes d’heroic fantasy que de science-fiction.

Andy a bien grandi

Dès le premier volume, on suit Mila, une jeune enfant qui occupe ses journées à explorer SAMPSON, la planète où elle s’est réfugiée avec son père. On découvre rapidement que ce dernier n’est autre qu’Andy, l’un des héros de DESCENDER, devenu désormais un adulte et un père responsable.

Très vite, la tranquillité de nos deux protagonistes va être perturbée par la menaçante MOTHER, une sorcière vampire, et les inquiétants adeptes de son culte. Obligés de fuir, Milla et son père Andy vont donc devoir fuir et se tourner vers des nouveaux ou anciens alliés. Des flashbacks viendront aussi nous expliquer ce qui est arrivé à la mère de la jeune enfant…

L’ingrédient Fantasy

Comme à leur habitude, Jeff Lemire et Dustin Nguyen mêlent habilement une aventure rythmée de bons rebondissements avec des portraits de personnages et des relations touchantes. Le premier tome parvient aussi sans difficulté à dresser un état des lieux des changements qui se sont opérés dans les mondes croisés dans DESCENDER. Attention : la lecture de ce titre reste donc un préalable incontournable pour apprécier cette nouvelle série.

Pourtant, tout sonne très frais dans ce nouveau comics et on ne ressent pas d’effets de redite. Les deux auteurs ont eu envie de proposer une autre expérience à leurs lecteurs, tout en apportant de nouvelles pierres aux destins de leurs personnages déjà posés dans DESCENDER. Et ce mélange de continuité et de nouveauté fonctionne très bien à ce stade de la série.

Un style atypique de SF

Mais ce qui fait selon moi de DESCENDER et d’ASCENDER des expériences de lecture singulières, c’est le graphisme de Dustin NGUYEN. Dès la série originelle, on pouvait être surpris du choix de cet artiste pour dépeindre un univers de SF comportant son lot de robots, vaisseaux et batailles spatiales.

Nguyen n’est effectivement pas le genre à bourrer ses planches de détails technologiques, ses designs sont de qualité sans être révolutionnaires et il a davantage tendance à épurer ses cases au maximum, ce qui n’en fait pas forcément le meilleure candidat pour représenter des combats épiques.

L’évolution de l’artiste

Le fait que Dustin Nguyen apporte justement à ces deux séries un cachet visuel à contre-emploi est ce qui démarque ces titres des productions traditionnelles. Son style graphique, tout en simplicité de traits et en délicates couleurs aquarellées, est en parfaite adéquation avec l’approche humaniste et parfois émouvante des histoires de Jeff Lemire.

Ensemble, ils construisent juste ce qu’il faut pour rendre ces univers crédibles et vivants, mais ils s’attachent davantage à dépeindre le ressenti des personnages et les ambiances dans lesquelles ils évoluent.

Cette démarche a cependanté été rendue possible par l’évolution de style graphique de Dustin Nguyen qui s’est éloigné de l’école « bourrine » de Wildstorm pour donner un peu plus de douceur à son dessin…

L’époque Wildstorm

Dustin Nguyen est un dessinateur americano-vietnamien qui a fait ses débuts chez Wildstorm en 2000 avec des numéros des mini-séries Gen-Active, Jet et Stray. Mais c’est avec ses fill-in sur la première série THE AUTHORITY (épisodes 23 à 26) que j’ai découvert cet artiste et je dois avouer que… ben, je n’ai pas vraiment accroché au début.

Il faut se remettre cependant dans le contexte. Nguyen débarquait alors dans un blockbuster de Wildstorm qui avait jusqu’à présent eu droit aux talents de Bryan Hitch, Franck Quietly, Chris Weston et Arthur Adams. Soit des artistes aux styles réalistes et détaillés et aux découpages épiques et dynamiques.

En dépit de la qualité de ses planches, Dustin Nguyen ne pouvait alors que faire pâle figure face à ces mastodontes. Ma première impression ne fût donc pas la meilleure et ce n’est pas son passage sur WILDCATS 2.0 après Travis CHAREST qui améliora les choses !

The Authority à la rescousse

Mais mon appréciation de son talent a commencé à évoluer au fil de ses travaux suivants. Lorsqu’il est de nouveau revenu sur The AUTHORITY : REVOLUTION, avec le génial Ed BRUBAKER au scénario, j’ai trouvé que les dessins de Dustin NGUYEN s’harmonisaient mieux avec les scripts du co-créateur de CRIMINAL. L’histoire y étant plus accès sur le thriller que sur la destruction massive, l’artiste y semblait plus à l’aise.

Plus tard, j’ai jeté un œil à ses épisodes de DETECTIVE COMICS, écrit par Paul DINI et collectés dans le recueil PRIVATE CASEBOOK en 2008. Mais en dépit des améliorations de son style, je ne peux pas dire que j’y prêtais plus d’attention que cela.

La révolution aquarelle

Il aura fallu attendre la sortie des premières couvertures aquarellées pour BATMAN : STREET OF GOTHAM et surtout de son one-shot LIL’ GOTHAM pour que je commence à accrocher avec sa nouvelle approche graphique.

Car curieusement, c’est quand Dustin NGUYEN a commencé à opter pour des crayonnés avec de la couleur directe plutôt que pour un traditionnel dessin encré que j’ai eu l’impression qu’il se trouvait enfin un style original.

Co-écrivant avec Derek FRIDOLFS des petites histoires sympas sur des versions enfantines des héros et vilains de l’univers du Dark Knight, Dustin NGUYEN signe surtout des designs très réussis.

J’ai d’ailleurs eu pendant très longtemps ces images en fond d’écran car j’étais fasciné par la façon dont il avait réussi à capturer, dans ses designs, les principaux traits physiques et psychologiques des personnages, le tout agrémenté d’une bonne dose de choupinou attitude !

Je vous invite donc à découvrir ces histoires qui ont été collectées en VO et en VF chez Urban, ainsi que BATMAN TALES : ONCE UPON A CRIME, album lui aussi traduit par Urban sous le titre BATMAN : LES CONTES DE GOTHAM.

Atouts et limites sur Ascender

Ainsi, quand Dustin NGUYEN s’est associé avec Jeff LEMIRE pour créer DESCENDER, j’ai été immédiatement attiré par ce parti-pris étrange de recourir à un dessinateur au style si emprunt de légèreté pour illustrer un space opera. Et même si j’ai été parfois frustré face à certaines cases un peu confuses, j’ai au final adoré cette proposition atypique qui, dans une moindre mesure qualitative, m’a fait pensé au travail d’Alex Alice sur la saga du Château dans les étoiles.

Le retour du même duo sur ASCENDER a encore plus attisé ma curiosité car, selon moi, le style de NGUYEN est aussi susceptible de trancher avec la production habituelle dans le genre de la Fantasy.

Après la lecture de ce premier volume, voici donc les 5 atouts et les 2 limites graphiques que j’ai notés au fil des pages.

Atout n°01 : de superbes couvertures

Les couvertures des éditions collectées et des single issues d’Ascender respectent complètement la charte graphique de la série. Elles s’appuient ainsi fortement sur le travail à l’aquarelle de Dustin NGUYEN et restent globalement dans une certaine épure.

Elles se répartissent en 3 grands styles de compositions : la pause iconique de personnages (#01, #03, #11, #12, #14) , les constructions symboliques (#2 ci-contre, #04, #06, #10, #14, #18), les images de paysages vastes avec des sujets isolés (#5, #7, #9, #13, #16).

Si j’aurais préféré qu’il s’en tienne à un seul style de composition pour donner un ton plus cohérent à l’ensemble des couvertures, je trouve que le style graphique de Nguyen unifie l’ensemble. Sa mise en couleurs sait être minimaliste ou au contraire très présente pour texturer l’image. Mais elle reste toujours suffisamment subtile pour obliger le lecteur à regarder plus attentivement ce qui est représenté.

Mention spéciale enfin à la couverture du n°14 qui rend un joli hommage à Akira.

Limite n°01 : des décors trop communs

Comme je le disais plus haut, Dustin NGUYEN pouvait paraître un choix singulier pour une série de SF et de Fantasy, en raison de sa propension à simplifier au maximum ses crayonnés. Vous ne trouverez donc pas dans ASCENDER des pages ou cases détaillées, peuplées de cités cyclopéennes, de foules massives ou d’armada de vaisseaux.

L’artiste pose juste ce qu’il faut à chaque fois pour situer les lieux de l’action et pour en caractériser l’architecture et l’ambiance. On a ainsi souvent droit à un premier plan général pour planter le décor, suivi de cases dans lesquelles le vide est assez présent. Je comprends que cela puisse aisément frustrer les lecteurs en quête d’une SF ou d’une Fantasy plus riche visuellement. Pour ma part, je trouve que cela limite l’univers de la série en ne lui offrant pas une singularité marquante et en n’incitant pas davantage à sa découverte.

Atout n°02 : l’art du minimalisme

Mais si ce sens de l’épure joue contre l’enrichissement visuel du monde d’ASCENDER, force est de constater que Dustin Nguyen le maîtrise parfaitement. La composition de ses pages et de ses cases est savamment orchestrée pour que l’artiste puisse raconter l’histoire en un minimum de détails.

Que ce soit à travers des paysages désertiques et vastes ou bien des intérieurs simples et peu décorés, Nguyen choisit méthodiquement ses traits pour ne signifier que l’essentiel et laisse le soin à sa colorisation de finaliser complètement l’image. Il est d’ailleurs flagrant de voir que ses planches ne peuvent pas fonctionner uniquement avec les crayonnés.

Limite n°02 : un manque de dynamisme

La page ci-contre est probablement la plus « punchy » du tome 01 d’ASCENDER. C’est dire que nous sommes loin en termes de dynamisme des planches d’un Tradd Moore ou d’un Daniel Warren Johnson. Si les débris tombant du toit et la cape du bad guy en case 3 restituent intelligemment une sensation de vitesse, les cadrages et la composition restent tout de même trop sages et même plats.

On reste donc dans cette impression de joli livre d’images, sans jamais être emporté viscéralement par l’action. C’est propre, clair et rythmé mais je trouve que cela reste toujours trop figé et trop plan-plan.

Atout n°03 : un mix réussi de genres

C’est sans doute LA qualité qui fait, qu’à ce stade, je pense qu’ASCENDER peut me plaire davantage que sa préquelle DESCENDER. Son mix original de genres est intéressant et atypique, là où la première série restait solidement ancrée dans le space opera robotique.

Ici, on va croiser des dragons et des vaisseaux spatiaux, des temples gothiques et des bases lunaires. Cette variété n’est pas pour autant restituée comme un « deux salles, deux ambiances » trop brutal mais est habilement amenée à travers l’association subtile d’éléments contrastés (ex : un marché médiéval avec des aliens ou, ci-contre, un temple rocheux avec des sphères high tech d’énergie.).

Atout n°04 : un beau travail sur les textures

Comme je le soulignais plus haut, Dustin NGUYEN limite ses crayonnés mais met le paquet à la couleur. Sa palette d’aquarelle tourne à plein régime et elle semble plus vaste et variée que dans DESCENDER. Ce qui m’a particulièrement impressionné, c’est la façon dont il l’utilise pour donner de la texture à presque tous les éléments de l’image.

La page ci-contre est un bon exemple : Nguyen utilise sa peinture pour rendre tangible le mur de pierre et les tissus des vêtements. Il travaille aussi les ombres et lumières sur la peau des personnages et leur ajoute ainsi le volume qui n’est pas donné par le dessin. Enfin, il créé un effet remarquable de transition pour signifier la tension entre les personnages : dans l’avant-dernière case, il teinte le gris du mur d’un violet qui va être ensuite plus marqué et dominant dans la case suivante pour dépeindre le ciel. Une façon très habile d’utiliser la couleur pour signifier de deux façon qu’il y a « de l’orage dans l’air »…

Atout n°05 : une incroyable palette d’ambiances

Je terminerai cette liste d’atouts avec LA force principale du style colorée de Dustin Nguyen : la variété des ambiances. En maîtrisant totalement sa mise en couleur, l’artiste ne fait pas que prolonger son dessin : il pose et impose à chaque fois une colorimétrie singulière qui titille nos rétines.

Du vide spatial glacial à la douceur verdoyante des forêts, en passant par l’humidité de vieux ports délabrés, ASCENDER parvient à nous proposer une grande variété d’ambiances à la seule force de ses aquarelles. La série devient ainsi une promenade colorée à défaut d’être riche en détails, ce qui au final sied davantage au ton émotionnel du récit de Jeff Lemire. On ne se perd pas ainsi dans la scrutation des environnements mais on les ressent visuellement.

En conclusion

Vous l’aurez compris, Ascender est une série que je vous recommande pour sa proposition graphique atypique et l’incroyable travail fait à l’aquarelle par Dustin Nguyen. Certes, les limites en dessin de l’artiste sont là mais il parvient à vous les faire oublier par la force de ses pinceaux. Il offre, au final, un écrin parfaitement adapté au récit et suffisamment innovant pour mériter qu’on le salue bien bas.

Et vous, qu’en avez-vous pensé ? Aimez-vous ce style de Dustin NGUYEN ?