Assassin Nation – Par Erica Henderson [vidéo]

Erica HENDERSON sort l’artillerie

Sorti chez IMAGE COMICS sous le label SKYBOUND de Robert KIRKMAN, ASSASSIN NATION est écrit par Kyle STARKS et dessiné par Erica HENDERSON. Ce comics met en scène le rassemblement d’une vingtaine d’assassins professionnels autour de l’un d’entre eux, le dénommé RANKIN. Ce dernier est désormais à la tête de la troisième plus puissante organisation mafieuse et il est récemment devenu la cible d’un mystérieux tueur à gages. Il veut donc recourir aux services des meilleurs exécuteurs pour débusquer celles et ceux qui en veulent à sa vie.

Vous avez la flemme de lire ? Voici la vidéo de cet article !

Sinon, bonne lecture !

Festival de (trous de) balles

Sur un scénario un peu convenu mais sympathique, parfois drôle et assez bien rythmé, ASSASSIN NATION amène ses lecteurs dans une escalade de massacre mettant en scène des tueurs aux personnalités variées et souvent hautes en couleurs.

La mini-série se lit assez rapidement, sans ennui, et permet par moment de s’attacher un peu à quelques personnages ou aux relations que certains tissent entre eux. Le final permet de conclure l’intrigue mais ouvre sur une potentielle séquelle en élargissant un peu plus cet univers peuplé d’assassins extravagants, à la manière de la saga JOHN WICK.

Eric Henderson à contre-emploi ?

Mais ce qui m’a le plus interpellé dans cette série, c’est d’y retrouver l’artiste, Erica HENDERSON. La jeune dessinatrice s’est, en effet, illustrée jusqu’ici avec un style graphique plutôt cartoon. sur des séries plus légères comme SQUIRREL GIRL chez MARVEL, JUGHEAD dans l’univers d’ARCHIE COMICS ou bien sur HARLEY QUINN chez DC.

Je ne l’imaginais donc pas forcément sur un titre plus violent, où les balles fusent et les cervelles se répandent sur la moquette. Ce choix audacieux est-il donc un atout pour l’univers d’ASSASSIN NATION ?

Attention ! La suite de l’article contient des spoilers visuels donc courez lire la série d’abord !

La maitrise totale de l’art

Il faut tout d’abord noter qu’Erica HENDERSON assure ici le dessin, l’encrage et la couleur.

Elle est donc en total maitrise de l’ambiance graphique de la série et c’est déjà un point positif.

Dès les premières pages, on comprend qu’elle ne va pas opter pour les codes visuels habituels du polar réaliste mais va proposer plutôt de raconter ce ballet de balles avec une approche plus personnelle.

Cela se traduit tout d’abord par une ligne claire, toute en rondeur, et par une simplification des formes et des textures. A priori en décalage avec la violence montrée, cette patte graphique vient en fait conforter l’humour noir de certaines situations et dialogues, ainsi que le côté haut en couleurs de plusieurs personnages.

Un chara-design original

Ces derniers bénéficient d’ailleurs grandement du soin apporté par la jeune artiste aux visages : à la limite de la caricature mais en restant crédible, chaque assassin possède un faciès et un look qui le rendent généralement bien distinct des autres.

Erica HENDERSON sait aussi restituer les expressions des visages. dont elle accentue le « jeu ». Elle ajoute ainsi de d’énergie lors des scènes de dialogue et exacerbe les réactions lors des affrontements pour souligner l’impact de la violence.

Une palette de couleurs atypique

Le fait qu’elle gère aussi la colorisation de ses planches lui permet de maîtriser l’ambiance qu’elle veut donner à l’ensemble.

Loin des couleurs souvent désaturées des polars type CRIMINAL, elle ne cherche pas à reproduire le monde réel et opte, au contraire, pour une palette vive et généralement chaleureuse.

Ses couleurs viennent alors créer des ambiances graphiques très « pop », uniques et décalées, mais parfaitement adaptées à son style de dessin. Cela peut paraître déroutant au départ compte-tenu de l’ultra-violence ambiante, mais on se rend vite compte que cela lui permet, au contraire, de nous surprendre davantage avec des ruptures de ton plus brutales.

Retour en grâce de l’onomatopée

J’ai aussi aimé voir qu’Erica HENDERSON trouvait des façons originales d’utiliser les onomatopées dans sa narration visuelle.

Bien que présentent depuis l’origine des comics, les onomatopées ont semblé parfois être une figure imposée aux artistes. Parfois iconiques (« snikt » by Wolverine) ou ridicules, elles n’apportaient pas toujours grand chose aux planches.

Je pense que le manga a cependant redonné leur lettre de noblesse à ces bruitages écrits. De nombreux artistes ont su en faire de vrais éléments graphiques intégrés à leurs cases et contribuant même à la dynamique ou à l’impact de l’action.

Erica HENDERSON reprend donc un peu à son compte cette ambition et choisit souvent une façon fun et originale de les représenter dans ses planches.

Cela permet de renforcer encore plus leur rôle de suggestion des sons mais aussi de les utiliser comme des éléments visuels de storytelling, notamment lorsqu’elles viennent représenter un effet gore.

Un découpage varié

Si je n’ai pas été transporté par son storytelling en règle général, je trouve qu’Erica HENDERSON propose plusieurs découpages de planches vraiment intéressants.

Dans cet exemple, elle parvient à présenter clairement deux scènes d’action très distinctes. La première est décomposée méthodiquement en 5 cases, tenant sur la première moitié de la planche, pour montrer la chorégraphie de riposte martiale d’un des tueurs.

La seconde partie de la page est consacrée à une autre scène d’action, dont le tempo est totalement différent : ici, elle est montrée uniquement à travers trois moments-clefs, séparées par des ellipses bien choisies.

Le gore et le cartoon

Le style graphique d’Erica HENDERSON lui permet aussi de créer un décalage assez étrange entre des effets sanglants et d’autres totalement cartoonesques.

Dans cette page, par exemple, elle met en scène de deux façons différentes l’affrontement entre le tueur TAIPAN et un duo d’assassins.

La première exécution se conclue en trois cases. Elle est froide, rapide et se finit par un égorgement sanguinolant, accentué là encore par l’onomatopée.

Le deuxième combat, lui, rappelle presque ceux que l’on voit dans les aventures de TINTIN : le coup de poing génère son flot d’étoiles et le personnage sonné sort même de la planche en titubant de manière burlesque.

Ce grand écart entre violence graphique et violence cartoon est donc une marque de fabrique de la mini-série.

Une séquence rétroactive

Plus loin dans l’histoire, Erica HENDERSON dépeint le souvenir cauchemardesque d’un des personnages avec un découpage évoquant une scène similaire dans le film WANTED, adaptation « très libre » du comics de Mark Millar et J.G Jones.

L’artiste commence donc par une première ligne de cases dans laquelle l’action se déroule dans le sens classique de la chronologie. Mais juste après, elle, inverse le fil du temps et montre le trajet que la balle fatale vient de suivre, jusqu’à son point d’origine.

Ce procédé purement visuel est plutôt bien trouvé, à défaut d’être totalement original. Il sert brillamment à montrer le raisonnement du nouveau veuf et la façon dont il va retracer mentalement ce qui vient de se passer afin de trouver l’auteur de l’assassinat.

Portraits au passé

J’ai enfin beaucoup aimé la façon dont Erica Henderson illustre, pour chacun des principaux tueurs, une séquence flashback en quelques cases montrant la première fois qu’ils ont tué quelqu’un.

Les cadrages et angles sont très bien choisis, sans jamais nuire à la fluidité de la page dans son ensemble. Cette destructuration de la narration fonctionne d’ailleurs à merveille dans l’un des derniers flashbacks, qui vient s’intégrer l’espace d’une seconde dans une scène d’action (mais je ne le spoilerai pas ici en vous le montrant).

Erica HENDERSON propose donc de très beaux moments dans ASSASSIN NATION mais je dois avouer que j’ai trouvé aussi quelques limites graphiques…

Ils sont où les décors ?

La première de ces limites graphiques – et la plus évidente dès les premières pages – concerne l’absence fréquente de backgrounds dans les cases. Globalement, le manque de travail sur les décors est trop visible et les quelques uns que l’artiste met en place ne sont ni mémorables ni suffisamment fouillés. Cela m’a posé ainsi deux problèmes à la lecture :

Tout d’abord, je trouve que cela nuit à la crédibilité de l’univers dans lequel la série se déroule. Autant les personnages sont bien designés, autant les décors manquent d’identité, de réalisme ou même d’intérêts. On est souvent dans des pièces vides, dont on peine à comprendre la fonction, le standing ou le style. Les personnages semblent souvent évoluer sur les planches d’une scène de théâtre conceptuel, où seule leur présence est censée nous suffire.

L’action dans le vide

Mais la plus fâcheuse conséquence concerne la clarté des séquences d’action.

Toute personne qui a un jour étudié l’art de représenter les combats au cinéma vous le dira : le spectateur doit avoir une compréhension immédiate et permanente de l’espace dans lequel l’affrontement a lieu, afin qu’il puisse suivre, même de manière intuitive, les déplacements et mouvements des protagonistes.

De plus, le décor peut ajouter à l’intensité de l’action en créant des obstacles, en contraignant les protagonistes ou même en imposant une rythmique.

La confusion des gunfights

Or ici, l’absence de décors entraîne souvent une difficulté à suivre la position de chaque protagoniste et leur nombre n’arrange rien à l’affaire.

Lors des séquences où plusieurs d’entre eux se tirent dessus dans un espace clos, il faut être bien attentif pour suivre les enchaînements de tirs et de morts.

Erica HENDERSON parvient cependant une fois à bien exploiter son décor lors d’un gunfight le long d’un toit (cf image tout en bas de la page) mais c’est bien trop peu, à mon sens.

Des tirs maladroits

J’ai aussi regretté que l’artiste n’ai pas échappé aux travers de certains films où les personnages attendent de s’approcher à un mètre de leur cible pour leur tirer dessus, ce qui n’est clairement pas crédible.

Je pense que la chorégraphie des affrontements à coups de flingues, qui plus est avec de multiples protagonistes, est extrêmement difficile en dessin et doit être réglée au millimètre pour pouvoir égaler les meilleures séquences vues au cinéma (John Woo, John McTiernan, Michael Mann).

Je vous renvoie ainsi aux planches du manga GUNSMITH CATS de Ken’ichi Sonoda ou au rare mais magnifique GEN 13 BOOTLEG par Adam Warren qui réussissent brillamment dans cet exercice.

En conclusion

Le style graphique d’Erica HENDERSON n’est donc pas un contre-sens pour une série violente comme ASSASSIN NATION. Ce comics repose, en effet, en grande partie sur sa galerie haute en couleurs de tueurs, et l’artiste parvient aisément à leur donner vie grâce à sa palette de couleurs pop et ses expressions faciales très bien retranscrites.

Les gunfights et autres chorégraphies de combats nécessiteraient cependant selon moi, un peu plus de lisibilité et une meilleure représentation de la topographie des lieux pour que l’on puisse davantage ressentir l’impact et la vitesse des balles qui fusent.

Mais l’ensemble possède une identité graphique indéniable et originale et j’attendrai de lire la suite pour voir si Erica HENDERSON parvient à balayer ces petites limites et prouver qu’un style un peu cartoon peut être aussi très adapté pour des polars brutaux !

Et vous alors ? L’avez-vous lu ? Qu’en avez-vous pensé ? Dites-moi tout en commentaires !