WOLVERINE : L’ARME X

(Wolverine: Weapon X)
Article écrit par Nicolas MARQUIS
Scénario: Barry Windsor-Smith
Dessin: Barry Windsor-Smith

Livre obtenu par nos propres moyens

L’homme et l’animal


Avec son audace et sa plume pour seuls bagages, Barry Windsor-Smith s’est créé une place de choix dans le monde du comics. En 1968, à seulement 19 ans, cet artiste né travaille dans la relative confidentialité de la maison d’édition Odhams Press, au cœur de son Angleterre natale. Parmi les spécialités de la petite société, la réimpression des œuvres de Marvel assure une source de revenus confortable, et offre à l’artiste l’occasion de publier ses premières planches. En appendice des magazines Terrific et Fantastic, il gratifie le lecteur de quelques pin-ups de sa composition, lui permettant de mettre un premier pied dans l’univers de la Maison des idées. Hulk, Captain America, Iron Man… Dès ses jeunes années, le dessinateur tutoie un panthéon de héros qu’il marquera à jamais. La porte de l’industrie s’entrebaille pour Barry Windsor-Smith, et son collègue et ami Steve Parkhouse l’aide à l’ouvrir en grand. Suite à un simple compliment de Linda Fite, alors assistante de Stan Lee, les deux hommes traversent l’Atlantique pour gagner les bureaux de Marvel, avec la ferme intention de se faire une place. Le style graphique de Barry Windsor-Smith, à l’époque très proche de celui de Jack Kirby, lui permet de signer ses premiers ouvrages, à l’occasion de numéros de X-Men, Daredevil ou Nick Fury, Agent of S.H.I.E.L.D.. Toutefois, le dessinateur n’est pas satisfait de son travail, et pose un regard critique sur le début de son épopée. Pour Barry Windsor-Smith, sa patte n’est pas encore affirmée, il n’est que dans l’imitation maladroite du “King of Comics”.

Le début des années 1970 marque un tournant dans sa carrière. En participant à l’élaboration des premiers comics Conan, le trait du dessinateur trouve son identité, progresse à une vitesse inouïe, jusqu’à devenir unique. La création de Robert E. Howard est comme une muse pour Barry Windsor-Smith, une source inépuisable pour ses excentricités graphiques et ses premiers essais de scénariste. Malheureusement, le dessinateur ne s’épanouit pas sous la bannière Marvel. Obligé de continuer à travailler sur le reste des héros iconiques de la firme, il se désole de devoir plancher sur des personnages qui le désintéressent profondément. En 1972, la rupture est totale: à la suite d’un différent créatif avec Stan Lee, Barry Windsor-Smith quitte Marvel, et souhaite évoluer artistiquement loin des contraintes éditoriales. 2 ans plus tard, il crée Gorblimey Press, une petite maison d’édition spécialisée dans la fantasy, genre très en vogue à cette époque. Accompagné de trois autres illustrateurs et peintres, il fonde également The Studio, un loft communautaire au cœur de New York, dans lequel les artistes peuvent laisser libre court à leur imagination, loin des diktats de l’industrie.

À l’orée des années 1980, il n’est plus le jeune adulte qu’il était lors de son arrivée en Amérique, et sa vocation d’artiste est assouvie. Lorsqu’il effectue un retour chez Marvel en 1983, Barry Windsor-Smith peut se permettre des exigences qui ne lui étaient pas autorisées à ses débuts. Il s’affranchit des cadences infernales de publication, et regoûte progressivement à l’amour du genre super-héroïque qui avait marqué l’entame de sa carrière. Sporadiquement, il collabore sur Fantastic Four, Daredevil et Iron Man, en même temps qu’il pose son empreinte sur l’univers mutant de la maison des idées. En 1991, Barry Windsor-Smith tire sa révérence à Marvel dans un ultime tour de piste virtuose. Pour le magazine Marvel Comics Presents il a carte blanche pour scénariser et mettre en images les origines jusqu’alors inexplorées d’un personnage en plein essor: Wolverine, ou Logan de son vrai nom. Le mythique arc Wolverine: L’Arme X est né.

Au moment de la publication de Wolverine L’Arme X, le public en sait encore peu sur les origines du mutant au pouvoir de régénérescence et au squelette en adamantium, le métal le plus solide de l’univers Marvel. Son image est présente dans l’esprit de tous les lecteurs, et ses griffes rétractables sont iconiques, mais l’expérience scientifique qui a fusionné l’alliage avec ses os pour en faire l’arme ultime n’a que peu été évoquée. La genèse du héros reste une énigme, depuis son apparition dans The Incredible Hulk #181, en 1974, sous la plume du scénariste Len Wein et du dessinateur Herb Trimpe, grandement inspiré d’une ébauche de John Romita Sr.. Lors du run légendaire de Chris Claremont sur Uncanny X-Men, dont Wolverine devient un membre central, le voile du mystère se déchire légèrement, alors que les mutants sont régulièrement opposés à Alpha Flight, une équipe de surhommes canadiens, comme Logan, voulant récupérer le projet scientifique. Néanmoins, l’expérience en elle-même n’a jamais été montrée, seul ses conséquences dramatiques ont été mises en image. Barry Windsor-Smith a toute la latitude nécessaire pour plonger dans le passé de Wolverine et restituer de sa plume macabre et sanglante les jours de captivité du héros, au cours desquels les chercheurs canadiens lui ont fait subir les pires sévices afin de le transformer en bête inarrêtable. Victime d’abominables expériences pour faire de lui un être de chair et de métal, dans une souffrance inhumaine permanente, Logan hurle de rage du fond de sa cellule et fait tout pour s’échapper, dans Wolverine : L’Arme X.

La bête humaine


Afin d’émuler le sentiment de captivité propre à la condition de Logan, et faire naître une empathie naturelle pour le personnage, Wolverine: L’Arme X prive le lecteur de comics de ses repères habituels. Le personnage principal de l’ouvrage n’est presque jamais libre de ses mouvements, et si on excepte l’introduction du récit et un unique cri bestial, il est complètement muet. Logan est passif dans la torture qu’il subit, uniquement conscient de la douleur qu’on lui inflige, mais incapable d’y réagir. La position du lecteur est analogue: il ne peut influer sur une histoire, uniquement la vivre au fil des pages. La dépossession de tout moyen de résistance face à l’horreur est le premier pas vers un asservissement du protagoniste. Les uniques dialogues de Wolverine: L’Arme X sont partagés entre les scientifiques du projet secret, sans que Barry Windsor-Smith ne donne de sens à chacune de ces interventions. Une grande partie du champ lexical utilisé est si poussée que le lecteur doit faire le deuil d’une compréhension exhaustive, à l’instar de Logan qui ne saisit pas le monde qui l’entoure. Seuls subsistent les échanges les plus triviaux, les débats sur le bien fondé moral de l’expérience, et l’immuable contrôle des appareils de torture qui entravent le héros, dans une morne litanie inaltérable. Barry Windsor-Smith choisit également de ne pas inclure de cartouche dans ses planches, pour ne pas casser l’immersion ressentie. L’auteur n’est d’aucun secours pour son lecteur, sa volonté est de le confronter à une brutalité extrême, dans une approche résolument crue et immersive. 

Barry Windsor-Smith peint son épouvantable fresque d’hémoglobine et de métal en fusion. Dans une succession ininterrompue de visuels étalant une cruauté à la limite du soutenable, l’auteur noue un pacte de sang avec le lecteur, faisant du dégoût profond le moteur de sa grammaire lugubre. Chaque page tournée est un pas supplémentaire vers l’insondable obscurité de l’être et le reniement de sa nature humaine. À qui ose s’aventurer dans cette aventure décadente, Wolverine: L’Arme X répond par une violence sans échappatoire. Cependant, l’infamie est toujours commise par procuration. Logan n’est jamais roué de coup, mais souffre des supplices que lui infligent divers instruments automatisés. L’extrême robotisation des accessoires et du décor confronte le héros à une atrocité qui n’a pas de visage défini, ce qui renforce sa solitude et sa propre déshumanisation.

Puisque les digues de sa psyché cèdent une à une, Logan n’a d’autre choix que de devenir animal. La bête que son obscur créateur cherche à contrôler n’est qu’un berserk de fureur, qui répand le sang sur la blancheur immaculée de la neige. Barry Windsor-Smith fait le choix de représenter son héros presque toujours nu, accentuant ainsi le sentiment que le protagoniste est dépossédé de toute dignité, et ramené à un état sauvage primaire. En le confrontant à plusieurs reprises à de véritables animaux, Wolverine: L’Arme X l’inscrit dans le monde de la prédation, dont il est le maître. Pourtant, au moment de mettre à mort un fauve, Logan pousse l’un de ses uniques hurlements, sans que la cohorte scientifique ne comprenne le sens de son cri. Une même parenté unie le mutant devenu instrument de mort et sa proie. Le mâle alpha pleure le frère qu’il vient d’abattre sous la contrainte.

Il ne reste à Logan que la vengeance pour unique bribe de son humanité, celle qu’il dirige contre les responsables du projet. Privé de toute émotion, le cobaye se retourne contre la main qui l’opprime, dans un ultime élan de résistance face à l’agresseur. La haine engendre la haine pour Barry Windsor-Smith, les monstres créés par de noirs desseins sont voués à s’émanciper de leurs chaînes et à faire chuter leurs bourreaux. Bien qu’elle n’interviennent que dans l’ultime portion du récit, la marche inaltérable de Logan vers sa rétribution est irrévocable. Rien ne saurait détourner les noirs sillons que tracent ses griffes sur le sol de l’austère complexe scientifique. En ligne droite, il fond sur la proie qu’il a choisi après avoir tant de fois exécuté celle qu’on lui désignait. L’arme ultime se retourne contre son créateur, les artisans du malheur sont pris au piège de leurs odieuses machinations. Pas même le souvenir de cette mise à mort ne subsiste: au terme de ses tortures, la mémoire de Logan expurge le traumatisme et fait de lui un homme à nouveau. Les tortionnaires n’ont même pas la satisfaction d’avoir existé dans l’esprit de leur création sanglante.

Le sombre créateur 


Pourtant, malgré les effusions de sang dont Logan est l’instigateur, Wolverine: L’Arme X place l’inhumanité dans les mains des scientifiques, et les confrontent à leur propres responsabilité. Il n’est jamais de personnage plus monstrueux que celui qui se met en quête d’une destruction dont il pense pouvoir se dédouaner sur l’autel de la recherche. Barry Windsor-Smith reprend à soi des thématiques ancrées dans le Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley, dans une évocation claire du chef d’œuvre de l’autrice. Logan passe d’ailleurs par un état de quasi mort avant de revenir à la vie, et les nombreux câbles qui l’entravent rappellent les machineries décrites dans le roman. L’opprobre est ouvertement jetée sur le chef du projet Weapon X, et sa fin ne justifie aucunement les moyens épouvantables qu’il déploie dans une recherche de perfection de la mort. Grisé par la réussite et le pouvoir, l’homme devient l’apôtre de l’abomination institutionnalisée.

Cependant, Wolverine: L’Arme X n’antagonise pas un unique personnage, et fait peser le poids de la culpabilité sur l’ensemble de l’équipe de recherche. Pour n’avoir rien dit, pour avoir obéi aux ordres, pour s’être conformé à une autorité en pensant n’être que des exécutants de la volonté d’un démant, l’intégralité des scientifiques est responsable. L’inaction des hommes de bonnes volontés à un coût humain, la torture de Logan leur est tout autant imputable que les exactions de leur supérieur. Barry Windsor-Smith n’offre d’ailleurs pas d’identité à un pouvoir supérieur: le professeur en tête du projet n’est jamais nommé, et lui-même répond aux ordres d’un commanditaire qui n’est jamais montré. Celui qui renonce à ses principes moraux par obéissance aveugle est un maillon essentiel d’une chaîne de la haine, alors qu’il suffirait d’un objecteur pour la briser. Wolverine: L’Arme X n’entretient cependant aucune illusion sur l’espèce humaine: la violence est le fruit d’un système solidement installé depuis la nuit des temps, et nul ne peut s’y soustraire. L’auteur joue de la répétition graphique de certaines cases pour accentuer son propos. Le mal se perpétue invariablement, seul ses cibles changent. En offrant une réitération dans la fin du récit, semblable à la coda d’une sanglante symphonie, l’effet de redondance volontaire n’est plus que visuel, il est aussi scénaristique: il n’existe pas de nuance, si le malheur de l’être est la finalité d’un projet, la violence en sera le fruit pourri.

EN BREF:

Barry Windsor-Smith use d’une grammaire violente pour plonger son lecteur dans un effroyable cercle vicieux. Au-delà de l’hémoglobine, une réflexion poussée sur la nature d’un monstre et la responsabilité de ses créateurs. se tisse. Wolverine: L’Arme X est un récit iconique autour d’un des héros les plus appréciés de l’écurie Marvel.

8 coup de bite
Wolverine: L’Arme X est disponible chez Panini Comics.