Bruce Timm – Analyse de son style

Principalement connu pour être un des créateurs de « Batman : la série animée » au début des années 90 (avec les scénaristes Paul Dini et Mitch Brian), Bruce Timm est un artiste dont le style reconnaissable a été une grande source d’inspiration pour beaucoup.

Avec ses silhouettes épurées alternant courbes et formes triangulaires, le dessinateur a rapidement créé une sorte de charte graphique qui a longtemps été celle utilisée pour la version animée de tout l’univers DC. Puisant lui-même dans le travail d’autres brillants designers (Glen Murakami, Shane Glines, Darwyn Cooke), Bruce Timm a su faire évoluer subtilement le look de chaque série (de la première saison de Batman à Justice League, en passant par Superman et Batman Beyond).

Mad Love - Couverture par Bruce Timm
Mad Love – Couverture par Bruce Timm

Mais au-delà de cette empreinte indélébile, Bruce Timm est aussi un homme capable de proposer une fusion innovante et unique d’influences telles que John Buscema, Jack Kirby, Gene Colan ou encore Frank Frazetta. Loin de se cantonner à une seule approche « animated », Timm a prouvé au travers de ses rares travaux séquentiels et de centaines de pin-ups, qu’il possédait un spectre graphique bien plus large que ce qu’il n’y parait.

Voici donc 4 raisons d’aimer le style graphique de Bruce Timm, au-delà de son apport indéniable à Batman.

N°04 – L’art de l’anatomie dynamique et sensuelle

Artbook "Naughty and Nice" par Bruce Timm
Artbook « Naughty and Nice » par Bruce Timm

Lorsqu’il s’agit de l’anatomie des personnages et de leurs poses, il parait assez évident que Bruce Timm partage une approche similaire à celle du grand Kirby. Comme lui, il propose une réinterprétation des corps de ses héros en prenant plus ou moins de liberté avec le réalisme anatomique. Accentuant les courbes sur certaines parties du corps, Timm leur oppose aussi des traits brutalement droits et des articulations parfois pointues.

Cette simplification apparente vient en fait servir la volonté de l’artiste d’accentuer les caractéristiques physiques des personnages. Un principe, très souvent vu en animation, et qui permet de mettre en évidence, voire en emphase, la force du héros, la sensualité de l’héroïne, la silhouette menaçante du bad guy, etc. Cela peut paraitre simpliste, mais cette approche a fait ses preuves car elle permet aux artistes de traduire vite, par l’image, des informations sur les protagonistes, sans passer par le texte.

The Authority - Par Bruce Timm
The Authority – Par Bruce Timm

Mais cette épure des formes anatomiques sert aussi un autre but majeur : le dynamisme. Comme Kirby encore, Bruce Timm excelle dans les poses iconiques de personnages en mouvement, bondissant ou attaquant. L’artiste déploie ainsi les mêmes astuces que le co-créateur des Fantastic Four, telles que les déformations légères des corps pour simuler la profondeur de champ et le positionnement des mains au premier plan.

Dans ses quelques travaux de comics, on constate aussi que cette simplification des corps lui permet de faire accepter plus facilement aux lecteurs les déformations auxquelles il les soumet, notamment lors des combats. Cette souplesse contribue fortement au dynamisme de ses pages, offrant paradoxalement, en même temps, une exagération de la violence et son atténuation par l’effet « cartoon » de l’ensemble.

Mad Love - Combat Batman vs the Joker - Par Bruce Timm
Mad Love – Combat Batman vs the Joker – Par Bruce Timm

Enfin, je terminerai par une évidence : Bruce Timm sait dessiner des jolies pin up sexy, voire coquines, voire franchement osées, voire limites graveleuses. Ses beaux artbooks « Naughy and Nice » et « The big tease » en regorgent.

On ne peut qu’y admirer sa maitrise quant à la représentation des chutes de reins, des postures cambrées, des courbes mammaires et des jambes élancées.

Cela étant dit, j’avoue être parfois un peu gêné aux entournures par les représentations limites juvéniles qu’il fait de certaines de ces filles sexy. C’est évidemment rare et il est difficile de dire si cela vient des visages ou des proportions des corps.

N°03 – Un sens de la couleur sous-estimé

Personnages Marvel - Par Bruce Timm
Personnages Marvel – Par Bruce Timm

Parcourir les commissions ou pin ups de Bruce Timm permet de voir à quel point il maitrise aussi parfaitement la colorisation. Exécutée semble-t-il avec des techniques traditionnelles telles que des feutres ou des crayons, elle semble, selon moi, plus inspirée par les illustrations de publicité des années 60 ou les couvertures de pulps que par les couleurs habituelles des comic books.

Timm réussit toujours à traduire, par exemple, des textures de peau variées et pleines de nuances. Les chevelures de ses héroïnes sont aussi magnifiquement rendues par des reflets et des ombres de volume. Enfin, il sait comment restituer les matières de costumes, gérant notamment à la perfection les effets brillants.

Les femmes de Marvel - par Bruce Timm
Les femmes de Marvel – par Bruce Timm

Mais Bruce Timm a su prouver aussi que sa mise en couleurs allait au-delà de la représentation des choses et des êtres pour créer une véritable ambiance. Des aubes rougeoyantes aux brumes gothiques, en passant par des rendus noir, blanc et gris évoquant les anciens films d’horreur, Timm parvient à créer de véritables bijoux graphiques qui se rapprochent des travaux peints de Julian Totino Todesco ou Paulo Rivera.

Dans cette pin-up, il est d’ailleurs intéressant de noter que l’artiste parvient, à la colorisation, à renforcer un peu plus le réalisme de ses personnages par son travail sur les muscles, sans pour autant trahir ou contredire son approche de l’anatomie.

A barbarian - par Bruce Timm
A barbarian – par Bruce Timm

Enfin, si vous voulez finir d’être convaincu de son talent pour la couleur, je vous invite à vous procurer la très belle édition de son comics « Mad Love » sortie chez Urban. L’éditeur a eu la bonne idée d’y intégrer les pages que Bruce Timm a coloriées à la main pour donner les indications des teintes qu’il souhaitait à l’équipe chargée de la colorisation informatique. Et inutile de vous dire que la vision de ces planches, même en format réduit, vous fait regretter que ce ne soit pas les versions finales qui aient été imprimées !

N°02 – Un style moins enfantin et propre qu’il n’y parait

Uncle Creepy and Classic Monsters par Bruce Timm
Uncle Creepy and Classic Monsters par Bruce Timm

Si beaucoup aiment Bruce Timm pour ses dessins de jolies filles, je préfère, pour ma part, sa représentation des monstres. Entre deux blondes incendiaires aux tétons saillants, l’artiste glisse dans ses artbooks des magnifiques représentations de monstres classiques d’Universal mais aussi de la Hammer ou d’autres productions vintage de l’horreur.

Sans se départir de son sens du design et en y ajoutant une légère pointe de caricature, Timm y travaille davantage les textures, les poils et les chairs putrides. Il trouve un parfait équilibre entre burlesque et grotesque et fait parfois monter d’un cran le réalisme de son dessin, tout en conservant sa patte unique.

Cette illustration regroupant les Monstres de Marvel montre d’ailleurs qu’il sait opter pour un encrage plus lâché et plus brut qui gomme l’aspect lisse des designs pour renforcer le sentiment de décrépitude et de sauvagerie qu’inspire ce bestiaire.

Cette capacité à jouer sur les ombres est d’ailleurs un point important dans le style de Bruce Timm. Car c’est avec cela qu’il va prouver, à deux reprises, qu’il maitrise aussi les codes du film noir et du polar hardboiled. On pouvait évidemment s’en douter à la découverte de Batman : la série animée mais Timm va pousser le curseur un peu plus loin dans la noirceur et l’ultra-violence, à l’occasion de deux histoires courtes chez DC.

La première s’appelle « Two of a kind » et fait partie de l’anthologie Batman : Black and White. Elle met en scène une origin story alternative à Harvey Dent alias Two-Face. Ce dernier se retrouve tiraillé entre la femme qu’il aime et une maitresse passionnée et cette double romance va bien évidemment finir sur une tragédie en deux temps.

Batman : Two of a kind par Bruce Timm
Batman : Two of a kind par Bruce Timm

Bruce Timm y joue à fond sur les codes du film noir et compose ses cases en s’appuyant habilement sur des aplats d’ombres marqués. S’il y conserve ses designs de personnages de la série animé, il prouve rapidement que ses jolies visages féminins peuvent refléter aussi la démence passionnelle et que la violence n’en demeure pas moins redoutable et graphique.

Batman : Two of a kind par Bruce Timm
Batman : Two of a kind par Bruce Timm

Et il ira encore plus loin dans ce sens avec la seconde histoire, baptisée Red Romance et publiée dans le numéro 11 de Flinch, la défunte anthologie d’horreur de DC. Attention : c’est probablement la love story la plus glauque et tordue que vous lirez ! Elle met en scène un couple de tueurs prenant un malin plaisir à tuer et faire du mal aux autres mais aussi à s’infliger mutuellement des sévices entre deux parties de jambes en l’air.

Red Romance dans Flinch n°11 - par Bruce Timm
Red Romance dans Flinch n°11 – par Bruce Timm

Conservant là encore les fondamentaux de son style graphique, Bruce Timm va le pervertir au maximum en mettant en scène crument la nudité, la violence extrême et la folie de ses deux protagonistes. Les jeux d’ombres sont accompagnés de détails gores et de nombreux traits qui viennent marquer les corps et les décors.

Red Romance dans Flinch n°11 – par Bruce Timm

Ce décalage est d’ailleurs particulièrement perturbant pour le personnage féminin dont Timm pare le joli minois, dans la scène finale, d’une expression démente reflétant parfaitement la déchéance mentale de la jeune femme.

N°01 – Un storytelling d’une fluidité exceptionnelle

Harley and Ivy - Par Bruce Timm
Harley and Ivy – Par Bruce Timm

« Mad Love » est pour moi un des meilleurs comics qui soit car il allie un scénario ciselé et une véritable leçon de découpage séquentiel. J’y ai d’ailleurs consacré une vidéo que je vous invite à découvrir. Je vais donc me tourner vers « Harley and Ivy« , une autre mini-série de Bruce Timm, pour illustrer trois des grandes forces de son storytelling.

Tout d’abord, Timm maitrise l’expressivité des personnages à la perfection. Que ce soit sur leur visage ou dans leur langage corporel, il veille à donner dans chaque case une information sur ce que ressentent, pensent ou montrent ses protagonistes. Evidemment, comme souvent en animation, il doit exagérer légèrement les différents éléments pour souligner cela : les sourcils se froncent, les bouches se tordent, les visages s’allongent et les corps se déforment sous l’impulsion du mouvement.

Harley and Ivy - scène de douche - Par Bruce Timm
Harley and Ivy – scène de douche – Par Bruce Timm

Ce surlignage permanent de l’émotion apporte un souffle de vie incroyable tout au long du récit et donne au lecteur la sensation de voir des êtres vivants réagir et interagir en direct.

L’autre force de Bruce Timm est sa maitrise du tempo de la narration. Bien qu’utilisant très souvent comme base des grilles en 6 ou 9 cases, il sait varier le rythme de ses scènes, créer des ellipses et maintenir le rythme du récit. Dans cette page, il applique ainsi trois techniques : tout d’abord, il créé un simple enchainement des cases 1 et 2 en mettant en scène deux actions opposées (la course d’Ivy et son arrêt immédiat à cause de l’entrée du garde).

Harley and Ivy - Escape - Par Bruce Timm
Harley and Ivy – Escape – Par Bruce Timm

Puis, pour marquer la rapidité de l’attaque de Poison Ivy, il la montre dans la case 3 déjà collée aux lèvres du garde, en accentuant la vitesse par des traits de mouvement et la forme de ses cheveux. Puis, il met la fuite de la jeune femme en pause, le temps que le charme d’Ivy opère en case 4 et s’offre une nouvelle ellipse en case 5 en montrant qu’Ivy est déjà loin du garde.

Enfin, le dernier point fort selon moi de Bruce Timm en matière de storytelling, c’est sa capacité à mettre en scène du mouvement, de différentes façons et presque dans chaque case. Dans cette page, par exemple, on peut voir la captation d’un moment de chute (case 1), un impact dans la boue (case 2), la projection de flammes soutenue par une onomatopée (case 3), de la fumée sortant du lance-flamme (case 4), un pas en avant vers Ivy (case 5), un lancé de boue (case 6) et du ruissellement de boue qu’on essuie (case 7).

Harley and Ivy - mud - Par Bruce Timm
Harley and Ivy – mud – Par Bruce Timm

Cette succession de petits éléments mouvants peut paraitre anecdotique mais elle contribue, au contraire, fortement à la sensation d’avancée dans le récit et de « vie ». Ce savoir-faire parait encore plus évident quand on pense au background de Bruce Timm dans l’animation. On commence alors à voir chaque case comme un potentiel morceau de storyboard et on devine aisément les images que les animateurs viendraient ajouter avant et après celle-ci. Couplé à l’hyper-expressivité des personnages et à une gestion du rythme efficace, ce sens du mouvement permanent donne à chaque page de Bruce Timm une énergie inégalée.


[VIDEO] Découvrez mon analyse passionnelle du chef-d’œuvre BATMAN : MAD LOVE


Les œuvres de Bruce Timm à découvrir