J. Bone – 4 raisons d’aimer son style

Jason Bone – qui signe ses pages sous le nom « J. Bone » – est un artiste canadien peu connu mais dont le talent mérite le coup d’œil. S’inscrivant dans la veine graphique de Darwyn Cooke, Elsa Charretier et Bruce Timm, il s’est illustré en tant que scénariste, dessinateur, encreur, coloriste, lettreur, cover artist et character designer.

Bien qu’étant passé sur des titres d’autres éditeurs (Alison Dare chez Oni Press, Madman, the Atomics et Jingle Belle chez Dark Horse comics), c’est principalement chez DC qu’on peut le suivre. Outre ses collaborations avec son ami Darwyn Cooke sur New Frontier et The Spirit, il a aussi apporté sa patte cartoon aux titres du label DC Kids (Super Friends).

Finding Batman - par JBone
Finding Batman – DC Pride 2022 – Artist : JBone

Tout récemment, J. Bone a mis en image une courte histoire dans l’anthologie DC Pride 2022. Scénarisé par Kevin Conroy (l’acteur incarnant vocalement le Chevalier Noir dans la légendaire Batman : the animated series), le récit autobiographique intitulé « Finding Batman » raconte comment le comédien est parvenu à trouver sa « voix » pour le justicier de Gotham, entre des drames familiaux et amicaux, et des rejets professionnels successifs liés à son homosexualité.

J. Bone y livre de très belles planches – sans doute ses plus belles – et c’est donc l’occasion pour moi de vous donner les 4 raisons pour lesquelles j’aime son style graphique.

N° 04 – Un excellent encreur

the spirit rocketeer

J’ai d’abord découvert J. Bone comme encreur de Darwyn Cooke, sur Witchblade animated, New frontier, Spider-Man Tangled web. Deux choses m’ont alors énormément plu :

  • Tout d’abord, sa capacité à proposer une ligne noire impeccable de netteté et de maitrise, soutenant ainsi parfaitement les courbes dynamiques du trait de Cooke.
  • Puis, la facilité avec laquelle il préservait, malgré cet encrage léché et classique, l’énergie du crayonné. Ce dernier point est important car ce type d’encrage très parfait et propre peut parfois figer le dessin de l’artiste. C’est le cas, par exemple, selon moi, de l’encrage du talentueux Mike Allred sur le dessin de Darwyn Cooke dans les premiers épisodes de Catwoman par Ed Brubaker.
the Rocketeer - cover - par JBone
The Rocketeer – cover – par J.Bone

Mais J. Bone a aussi montré qu’il possédait une certaine versatilité en tant qu’encreur. Ainsi, dans la série The Saviors, il opte pour des lignes plus lâchées, moins finies, dont la finesse contraste avec les pleins et déliés épais qu’il utilisait avec Cooke.

N°03 – Un large spectre graphique dans le style « cartoon »

batman ; the brave and the bold

Le terme « cartoon » peut paraitre péjoratif car il semble renvoyer à des dessins pour enfants, rapidement exécutés et peu exigeants (ce qui est déjà un préjugé très con quand on sait le travail que demande l’abstraction simplificatrice de ce type de styles). On l’utilise aussi souvent pour désigner un style graphique qui évoque les dessins animés américains, comme on dirait aujourd’hui un « style anime » pour parler de dessins rappelant visuellement des séries ou films d’animation japonais.

Je l’utilise, pour ma part, pour désigner des artistes qui tendent à s’éloigner de la représentation réaliste des personnages et décors afin de proposer une réinterprétation des formes plus ou moins importante et personnelle. Bien souvent, ces styles graphiques peuvent reprendre des codes et raccourcis utilisés par des animateurs de dessins animés. Cela va de l’accentuation des formes géométriques des corps à la simplification des yeux, nez, bouches, cheveux, etc.

Alpha flight - par J. Bone
Alpha flight – par J. Bone

J. Bone s’inscrit totalement dans cette veine mais il a pour lui d’avoir étiré le spectre dans lequel il évolue. Il peut ainsi adopter un style extrêmement simplifié évoquant celui du grand Glen Murakami (character designer sur Batman : new adventures, Teen Titans Go, Ben 10) ou de l’immense Shane Glines (dessinateur et designer chez Warner Bros animation). Mais il peut aussi opter pour quelque chose de plus détaillé comme sur the Saviors ou Finding Batman.

Il sait aussi s’imprégner d’autres styles « cartoon », notamment ceux des séries animés DC. Il a ainsi réussi à les reprendre dans les adaptations comics de Batman : The Brave and the Bold et Super-Friends.

N°02 – Une caractérisation par le design

J. Bone art
Plastic Man et Clarion the witch boy (Dc Comics) par J. Bone

Cette utilisation d’un style « cartoon » permet très souvent aux artistes de donner aux personnages une apparence qui reflète davantage leurs personnalités. En jouant sur les éléments clefs du visage, les silhouettes ou les postures, les dessinateurs traduisent visuellement les traits de caractère ou des éléments symboliques évoquant la nature du personnage ou sa fonction dans le récit. Les choix les plus connus sont les mentons proéminents pour les héros déterminés et les corps sculptés en sablier pour les femmes voulues très sensuelles.

J . Bone emploie donc ce type d’approche pour réinterpréter des personnages connus mais aussi pour créer ses propres designs. Les exemples les plus flagrants se retrouvent dans son crossover entre The Spirit et The Rocketeer.

the Spirit The Rocketeer - par JBone
The Spirit and The Rocketeer – par J.Bone

S’inspirant des looks originaux des personnages créés respectivement par Will Eisner et Dave Stevens, J.Bone accentue juste ce qu’il faut la mâchoire carrée du détective, la mine juvénile du pilote et les formes rondes de Betty et Ellen, leurs love interest.

S’il applique aussi le même traitement aux faciès des personnages secondaires, il reste cependant précis dans la représentation des éléments de décors. Des téléphones à combiné aux immeubles art déco, il distille ce qu’il faut comme détails pour crédibiliser l’époque et maintenir le parfum rétro-pulp des deux séries.

N°01 – Un storytelling classique, lisible, parfois innovant

The Spirit - par J. Bone
The Spirit – par J. Bone

J’avoue que, au départ, je m’attendais à ce que le découpage des planches de J. Bone soit plus original. Comme pour Darwyn Cooke ou Elsa Charretier, je pensais que l’artiste utiliserait son style pour jouer davantage avec le temps, l’espace et les cases pour dynamiter sa narration. Mais force est de constater qu’il reste, en général, assez classique. Lisible, mais sage.

Son passage sur The Spirit / Rocketeer ou sur Rocketeer : Hollywood horror nous gratifie de quelques jolies pages mais rien de vraiment innovant. La lecture est fluide, les angles relativement bien choisis et les scènes d’action sont rythmées, à défaut d’être visuellement impressionnantes. Bien sûr, cela ressemble à une critique mais ce n’en est pas une : car c’est déjà bien de proposer une narration qui tient la route et qui ne perde pas le lecteur.

The Saviors - visite - par J.Bone
The Saviors – visite guidée – par J.Bone

Il faut plutôt se tourner vers The Saviors pour voir J. Bone tenter plus de choses. Profitant sans doute d’un style d’encrage plus lâché, l’artiste innove un peu à l’occasion d’une course poursuite haletante de 11 pages entre un monstre et le héros ou d’une composition complexe mais assez claire montrant les déambulations des personnages dans un immeuble.

The Saviors - Poursuite - par J.Bone
The Saviors – Poursuite – par J.Bone

Mais ce qui m’a plu dans ce titre (paru en 2016 et dont la suite n’ait jamais sortie malheureusement), c’est que J. Bone y assure aussi la couleur et qu’il fait le choix d’une colorisation monochromatique qui change à chaque épisode. Peut-être inspiré par ce que Darwyn Cooke avait fait sur la série des adaptions de Parker, J. Bone parvient à choisir la bonne couleur pour traduire et renforcer l’ambiance de chaque chapitre, sans jamais dévier de sa palette pourtant réduite. Il trouve même des transitions habiles placées en fin d’épisodes, soulignant la réflexion aboutie qu’il a menée sur cet outil de narration.

The Saviors - couleurs- par J.Bone
The Saviors – jeu de couleurs- par J.Bone

Les œuvres de J. Bone à découvrir