Elsa Charretier : Analyse de son style

La jeune artiste française a percé dans le milieu du comics en quelques années et s’est imposée aujourd’hui comme un talent à suivre.

Co-scénariste avec Pierrick Colinet sur The Infinite Loop, Superfreaks et Star Wars Adventures, elle est passée chez Marvel (The Unstoppable Wasp) et a travaillé récemment avec Matt Fraction sur la série en 4 volumes November et avec Tom King sur Love everlasting via la plateforme Substack.

Un parcours aussi original qu’intriguant, qui impressionne d’autant plus qu’Elsa Charretier s’est forgée rapidement une patte graphique aboutie qui ne cesse d’évoluer et de s’enrichir au fil des projets. Voici donc les 4 raisons qui me font aujourd’hui aimer son style.

N°04 : une amélioration constante et rapide

(Infinite Loop ©Pierrick Colinet et Elsa Charretier)

Quand on découvre les planches d’Elsa Charretier sur November, on a du mal à croire qu’elle n’a véritablement débuté qu’en 2015 avec The Infinite Loop. Son travail sur ces albums est tellement élaboré au niveau du dessin, de l’encrage et de la mise en page, qu’on est estomaqué de voir une telle maturité dans le 9ème Art atteinte en si peu de temps.

D’autant que lorsqu’on compare avec les pages d’Infinite Loop, justement, le changement de style graphique est assez radical en 7 ans ! Mais en y regardant de plus près, on voit vite que ce titre possédait déjà des ambitions folles en matière de mise en scène et d’expérimentations graphiques.

(Infinite Loop ©Pierrick Colinet et Elsa Charretier)

Loin de jouer la sécurité en adoptant un découpage traditionnel, Elsa Charretier et son co-scénariste se sont plutôt aventurés dans un récit complexe, optant pour des envolées visuelles qui m’ont parfois fait penser au film Paprika de Satoshi Kon, avec leur propension à tordre, casser et réarranger le cadre séquentiel.

Il y a donc fort à parier que, contrairement à certains artistes qui stagnent des années sur les mêmes bases, Elsa Charretier va continuer à nous proposer des évolutions de son style graphique.

Je vous recommande d’ailleurs de visionner sa passionnante vidéo sur son « origin story », publiée sur sa chaine Youtube car elle y explique bien sa démarche très studieuse pour progresser.

N°03 : un style élégant et adaptable

(Star Wars Adventures © Lucasfilm Ltd. / Disney)

L’évolution du trait d’Elsa Charretier semble portée par son étude de diverses influences. La plus connue est évidemment Darwyn Cooke mais on devine que les travaux de Chris Samnee (Daredevil, Jonna, Fire Power) et Wes Craig (Deadly class) ont aussi été méticuleusement étudiés par la jeunes artiste. Pour autant, la fusion entre ces styles s’est opérée rapidement et très naturellement sous la plume d’Elsa Charretier et elle a même su en garder les qualités premières.

De Darwyn Cooke, elle a repris cette capacité à faire osciller son dessin entre « animation » et « réalisme stylisé », ce qui lui permet de proposer des tons différents selon les histoires. On remarque aussi que cela fonctionne parfaitement sur ses épisodes de Star Wars Adventures qui ont un côté « cartoon » sans jamais trahir les designs complexes des véhicules et accessoires.

(Poison Ivy ©DC Comics)

De Chris Samnee, on retrouve cet art subtil de penser ses compositions en jouant sur les aplats et autres masses de noir. C’est notamment flagrant sur de nombreuses commissions qu’elle a réalisées et dont on peut admirer certaines dans ses deux magnifiques artbooks (financés via Kickstarter et dont je suis l’un des chanceux possesseurs). Il est aussi intéressant de voir que, comme lui, elle sait faire cohabiter l’épure la plus audacieuse avec une sélection drastique des détails indispensables à la suggestion des textures et plis.

(November ©Milkfed Criminal Masterminds. Inc & Bid Head Little Arms SAS)

Enfin, j’ai parfois la sensation qu’elle canalise aussi l’énergie brute et presque punk des planches de Wes Craig. Même si je ne connais ce dernier qu’à travers sa série d’étudiants assassins avec Rick Remender, je trouve qu’il insuffle à ses pages, via notamment son encrage, une frénésie rageuse qui se lit sur les corps et les visages.

N°02 : l’art de l’essentiel

(November ©Milkfed Criminal Masterminds. Inc & Bid Head Little Arms SAS)

La page ci-dessus est, je pense, l’une des meilleures illustrations possibles de ce talent incroyable développé par Elsa Charretier dans l’art d’amener son dessin à l’essentiel. De l’architecture du quartier aux détails des vêtements, de la pluie ruisselante sur les aplats de noir en passant par les coupes de cheveux définies en quelques traits : ces trois cases grouillantes sont pourtant une leçon de stylisation.

Quand j’étais gamin, je pensais, comme beaucoup de lecteurs de comics, que l’économie de traits était la marque des artistes pressés, lents, paresseux ou incapables de bien dessiner. Puis un jour, on prend son papier et son crayon, et on s’y essaye parce, forcément, ça doit être plus simple. Et là, c’est le drame…

On se rend vite compte qu’on est incapable de positionner ces trois minuscules traits qui donnent l’impression à eux seuls que c’est bien une pierre qu’on a dessinée. On s’arrache les cheveux à trouver LE pli unique qui montre l’épaisseur du blouson porté par un homme corpulent. Et on finit par craquer au moment de tracer les contours d’une coiffure crédible qui ne semble pas être celle d’un Playmobil gominé. Bref, vous l’aurez compris, simplifier son dessin n’est pas… simple. Et Elsa Charretier s’est non seulement orientée dans cette voie mais elle y excelle aujourd’hui.

Cette aptitude lui permet de tout représenter dans sa plus pure expression sans jamais surcharger ses pages. Elle conserve ainsi la maitrise du rythme de lecture, n’obligeant pas le lecteur à se perdre dans la contemplation de chaque case. Et c’est important quand on s’emploie, comme elle, à travailler autant la composition et la mise en scène de ses planches.

N°01 : une ambition incroyable dans le storytelling

(Star Wars Adventures © Lucasfilm Ltd. / Disney)

Je le mentionnais plus haut, dès The Infinite Loop, l’ambition d’Elsa Charretier en matière de storytelling était folle. Pages destructurées, jeux multiples sur le temps et l’espace, utilisation de toutes les formes de cases possibles : l’artiste y montrait déjà un goût prononcé pour l’expérimentation sur la narration.

Même lors de ses passages sur des titres plus « mainstream » comme The Unstoppable Wasp et Star Wars, elle a su tenter des choses, comme vous pouvez le voir ci-dessus. Mettant en scène l’affrontement entre Leïa et un abominable alien des neiges, Elsa Charretier exploite habilement une grille à 12 cases en la penchant légèrement et en proposant surtout deux façons de travailler une image étalée sur trois panels.

Dans la deuxième ligne, elle décompose le coup reçu par Leïa en utilisant la trainée de neige pour créer du mouvement et lier les trois cases. Puis, dans la troisième ligne, elle instaure, dans la seconde case, une rupture visuelle humoristique (« Pew, Pew ») sans pour autant casser la continuité entre les deux autres.

Bien évidemment, il faudra surtout se plonger dans les pages de ses 4 tomes de November pour y trouver ses découpages les plus aboutis, innovants et fascinants. Mais si vous voulez en apprendre plus sur la façon dont Elsa Charretier pense et construit sa narration, précipitez-vous sur sa chaine Youtube.

Elle y décortique des pages d’artistes connus (tels que David Aja sur Hawkeye, une autre de ses influences majeures, je pense) mais surtout, s’essaye à l’exercice de créer un découpage graphique pour une scène de cinéma. Et sa démonstration sur une scène culte de Blade Runner va vous renverser les yeux et le cerveau !

(Superman ©DC Comics)

Les œuvres d’Elsa Charretier à découvrir

Et vous ? Aimez-vous le style graphique d’Elsa Charretier ? Expliquez-moi tout ça en commentaires !