Daredevil : sous l’aile du diable – Joe Quesada

A la fin des années 90, Marvel décide de confier la relance de quelques séries en perte de vitesse à Joe Quesada (scénariste, dessinateur) et Jimmy Palmiotti (scénariste, encreur), un duo d’artistes qui s’était surtout illustré sur leurs titres indépendants (Painkiller Jane, ASH).

Ils lancent ainsi le label MARVEL KNIGHTS avec le PUNISHER, BLACK WIDOW, BLACK PANTHER, les INHUMAINS et surtout DAREDEVIL. Quesada et Palmiotti s’attèlent tout particulièrement à ce dernier. Ils donnent les rennes du scénario au cinéaste bavard Kevin Smith et embauchent le brillant coloriste Richard Isanove pour finaliser leurs planches. Il en sortira une série marquante, controversée, mais visuellement aboutie et surtout, une renaissance pour DAREDEVIL qui a ouvert la voie pour tout un tas d’autres talents qui se succèdent depuis sur le titre.

Daredevil – Joe Quesada – Jimmy Palmiotti – Richard Isanove – Marvel Comics

Synopsis

La vie de Matt Murdock n’a jamais été un long fleuve tranquille. Mais elle va prendre une tournure particulièrement perturbante quand l’avocat va se retrouver bouleversé sur les plans spirituel et personnel. Tout d’abord, en tant que DAREDEVIL, il se retrouve à devoir protéger un bébé abandonné qui pourrait se révéler être le sauveur de l’Humanité… ou l’Antéchrist !

Puis, il doit faire face au retour de son ancienne secrétaire et grand Amour, Karen Page, qui traverse à nouveau une dramatique épreuve. Perdu, en colère, instable, Matt Murdock voit son monde s’effondrer, ses amis se retourner contre lui et son pire ennemi revenir…

Daredevil – Joe Quesada – Jimmy Palmiotti – Richard Isanove – Marvel Comics

Mon avis sur ce comics

Lorsque j’ai commencé les séries MARVEL KNIGHTS à leur sortie, DAREDEVIL était de loin ma préférée, graphiquement et scénaristiquement. A l’exception du premier arc catastrophique du PUNISHER (où il devient un tueur de démons), les autres titres avaient tous des propositions graphiques passionnantes (Jae Lee sur INHUMAINS, Mark Texeira sur BLACK PANTHER, J.G. Jones sur BLACK WIDOW). Mais DAREDEVIL marquait des points avec son scénario plein de mystères et surtout ses pages au style super-héroïque à la fois classique et original.

Mais au final, je dois avouer que mon enthousiasme s’émoussa un peu au fil des épisodes. La logorrhée verbale de Smith, bien que souvent bien écrite, finit par alourdir considérablement le récit et les révélations finales me parurent bien banales au regard des promesses initiales. Artistiquement, le niveau technique resta tout le temps élevé. Mais passée la découverte du style de Quesada, j’ai commencé à trouver une certaine irrégularité de qualité d’une page à une autre.

Daredevil – Joe Quesada – Jimmy Palmiotti – Richard Isanove – Marvel Comics

DAREDEVIL- SOUS L’AILE DU DIABLE n’en reste pas moins un récit à découvrir car il propose une rupture intéressante avec l’héritage de Franck MILLER et offre beaucoup de planches sublimes qui fonctionnent encore aujourd’hui.

Analyse graphique de 5 pages

Un redesign de DAREDEVIL tendu et aérien

En soi, le style de Joe QUESADA ne se reconnait pas facilement. D’une part, parce qu’il n’a pas derrière lui des milliers de planches sur des dizaines de séries différentes. Et d’autre part, parce que c’est un dessinateur plutôt précis, méticuleux, qui mixe un rendu réaliste avec des approches parfois caricaturales des personnages. En cela, il opère selon moi dans la même catégorie que Todd McFarlane, Jason Pearson, Ryan Ottley ou encore Ryan Stegman.

On peut cependant identifier sa patte sur deux points : les corps musclés et les visages (cf plus bas). Les héros de QUESADA ont souvent des musculatures ultra-saillantes, tendues et restituées avec beaucoup de détails. Mais ce rendu ne se fait jamais aux dépends du dynamisme des poses (contrairement à Jim Lee par exemple). Et la page ci-dessous en est un bel exemple.

Daredevil – Joe Quesada – Jimmy Palmiotti – Richard Isanove – Marvel Comics

Bien que saturée de captions de texte narratif, la page permet d’admirer comment Joe QUESADA traduit l’extrême agilité de DAREDEVIL. L’usage d’aplats de noir sur les silhouettes ne gêne d’ailleurs en rien la compréhension des poses et ces dernières restent lisibles et crédibles.

Un découpage fluide mais parfois sans impact

La page ci-dessous est aussi un bon exemple, selon moi, du talent mais aussi de la limite de QUESADA en matière de découpage. Dans les points positifs, on note que malgré le nombre de cases, toute reste extrêmement facile à lire. Les enchaînements sont propres, les axes de lecture ne se contredisent pas et il y a une variété de cadrages et d’angles appréciable.

Daredevil – Joe Quesada – Jimmy Palmiotti – Richard Isanove – Marvel Comics

Cependant, je regrette, pour ma part, un certain manque d’impact et de vitesse dans cette séquence. Dans la première ligne, l’arrivée du « billy club » de DAREDEVIL est bien faite en termes de lecture du mouvement et de l’espace. Mais elle ne traduit aucune notion de vitesse et, lors de l’impact sur le crâne, on manque d’éléments graphiques pour mesurer la force du coup porté.

Même chose après, avec l’attaque au couteau et la parade de DD. Les gestes sont là encore bien représentés mais l’esquive du héros semble sans vélocité et sa riposte donne plus l’impression qu’il pousse le bras de son agresseur qu’il ne le fracasse. C’est donc une chorégraphie élégante et efficace mais dont la brutalité n’est pas forcément bien restituée à mon goût.

Le souci du détails

Si Joe QUESADA n’est pas aussi maniaque du détail d’Arthur ADAMS, on notera tout au long de la série sa capacité à parsemer ses planches de nombreuses textures dans les décors ou encore d’éléments graphiques qui viennent parfois donner, à ses pages, un côté presque « art déco ».

Daredevil – Joe Quesada – Jimmy Palmiotti – Richard Isanove – Marvel Comics

Il profite ainsi de la rencontre entre DAREDEVIL et le DOCTOR STRANGE pour jouer à fond sur la mobilité de la cape et des rubans de la tenue du sorcier. Il égraine aussi la planche d’étoiles et autres formes qui viennent renforcer l’idée que la magie se déploie partout dans le Sanctuaire Sacré de STRANGE. Cet avalanche de détails est cependant très bien contrastée par l’usage d’un vaste aplat de noir qui enveloppe le décor, donnant à l’ensemble un aspect inquiétant (et permettant de gagner du temps au dessin !).

A noter, si ce n’est pas déjà fait, l’incroyable travail de Richard Isanove sur la colorisation. Il gère particulièrement bien les effets jaune / dorée et sa palette, pourtant très vive, conserve encore aujourd’hui de sa force.

Un petit air de Michael Golden ?

Bien qu’immensément talentueux, Joe QUESADA a quelques points faibles. Et pour moi, cela concerne surtout les personnages féminins. Comme pour les hommes, il tend à exagérer leurs formes et leurs postures mais je n’ai jamais trouvé qu’il parvenait à les mettre en valeur.

Daredevil – Joe Quesada – Jimmy Palmiotti – Richard Isanove – Marvel Comics

La faute sans doute aussi à la façon dont il dessine leurs visages. A la manière de Micheal Golden (Micronauts, Avengers annual 10, Spartan x), il opte pour des traits un peu caricaturaux qui font perdre pas mal de féminité et de finesse à ses héroïnes. Les chevelures restent correctes et les émotions lisibles. Mais je ne peux pas dire que sa BLACK WIDOW soit très réussie et elle est même parfois un peu ridicule quand il essaie de la rendre lascive et sexy.

Une vraie générosité dans le découpage

Probablement guidé par la densité du scénario de Kevin Smith, Joe Quesada livre dans cette série des planches assez denses. Mais elles ne paraissent jamais chargées ou confuses. Il joue sans difficulté avec des cases de tout format et s’autorise même quelques expérimentations sur les contours de cadres.

Daredevil – Joe Quesada – Jimmy Palmiotti – Richard Isanove – Marvel Comics

Même si, encore une fois, l’impact et la vitesse ne sont pas ici flagrants, il y a un rythme perceptible dans cet affrontement, ponctué par des cases horizontales, puis verticales. L’action se découpe ainsi de façon fluide, sans nécessiter plus d’espace. On est donc loin de la « décompression » dont certains comics vont se faire par la suite la spécialité. Quesada donne à chaque page une réelle plus-value graphique et, même si elles ne sont pas toutes du même niveau, l’ensemble demeure d’une qualité constante, ce qui n’est déjà pas si mal.

Conclusion

Joe Quesada est un artiste rare, notamment depuis qu’il a été promu à de plus en plus de responsabilités chez Marvel Comics au début des années 2000. Son style peut ne pas plaire à tout le monde, du fait de ses petits excès caricaturaux, mais il n’en demeure pas moins un dessinateur au talent incontestable… à défaut d’être un maître du comics.