Batman : Kings of fear – Kelley Jones

Vous voulez du Batman gothique, animal et crépusculaire, plus proche de son avatar de chauve-souris que d’un playboy bardé de gadgets ? Et bien le style graphique de Kelley Jones est fait pour vous !

Publication et histoire

Publiée entre 2018 et 2019, cette mini-série en 6 épisodes a été scénarisée par Scott Peterson et mise en image par le dessinateur Kelley Jones et la coloriste Michelle Madsen.

En France, cette aventure du justicier de Gotham est sortie en 2019 dans Batman Bimestriel n°03.

Batman – Kings of fear (DC comics)

L’histoire est située hors continuité et ne nécessite pas de lire quelque chose avant ou après. Il faut, tout au plus, avoir une connaissance générale de Batman et de son univers.

Démarrant avec une traditionnelle prise d’otage par le Joker et une énième tentative d’évasion des principaux vilains enfermés à Arkham, le récit va prendre ensuite une allure plus cauchemardesque et introspective.

Batman – Kings of fear (DC comics)

En effet, le Chevalier Noir va être exposé au gaz hallucinogène du Scarecrow et ce dernier va en profiter pour essayer de sonder l’esprit de Batman pour savoir qu’elle est sa peur ultime.

Le criminel au look d’épouvantail cadavérique va aussi montrer à Bruce Wayne comment sa croisade alimente le crime plus qu’elle ne le contre…

Batman – Kings of fear (DC comics)

Kelley Jones, la star indéniable de cette album

Batman : Kings of fear part sur des bases relativement familières. Ce n’est pas la première fois, en effet, que Batman se retrouve face à un jugement de ses propres actes par le biais de visions cauchemardesques. En 2001, Darwyn Cooke avait livré l’extraordinaire Batman : Ego    qui explorait déjà ce territoire.

Plus long, plus bavard et moins rythmé, cette mini-série ne rivalise par forcément sur le fond avec le coup d’essai / coup de maitre de Cooke. Mais qu’importe car l’intérêt de cet album réside dans la mise en scène graphique que propose Kelley Jones.

Batman – Kings of fear (DC comics)

C’est un artiste que j’ai découvert la première fois à travers l’incroyable illustration de son Batman version vampirique. Il a été, en effet, le dessinateur de ce récit alternatif opposant le justicier à Dracula et dans lequel Bruce Wayne finit par devenir lui-même un prédateur aux dents longues.

Jones a ensuite poursuivi son run sur la série régulière Batman du n°515 au 552. On le retrouvera ensuite sur le très bien nommé Deadman de DC Comics et sur diverses autres séries flirtant avec l’horreur et le surnaturel.

Deadman (DC Comics)

Un style gothique adapté à Batman

La première chose qui marque dans le style de Kelley Jones, c’est l’ambiance gothique qui transpire de chacune de ses planches. L’artiste utilise pour cela trois techniques simples mais efficaces :

Tout d’abord, il met en place, très souvent, des éclairages forts dans ses scènes. Il peut alors jouer sur les ombres portées des objets, des visages ou des muscles des corps et construire l’ensemble de l’image en équilibrant ces aplats de noirs.

Batman – Kings of fear (DC comics)

Il sait aussi quand remplir son dessin de détails savoureux et ragoûtants, que ce soit pour donner de la texture au visage inquiétant du Scarecrow ou pour magnifier des décors. Il travaille d’ailleurs savamment ces derniers pour accentuer leurs aspects les plus inquiétants.

Batman – Kings of fear (DC comics)

Les bâtiments renvoient directement à des époques plus anciennes, avec leurs pierres et briques apparentes et leurs multiples gargouilles et sculptures menaçantes. Les forêts et arbres sont fait de branches tortueuses et acérées et la lune, elle-même, est de taille tellement exagérée qu’elle semble surplomber en permanence les héros.

Batman – Kings of fear (DC comics)

Enfin, Jones utilise très souvent des décadrage et des angles penchés pour accentuer la sensation cauchemardesque de ses planches

Alternant découpage classique et compositions alambiquées, il garde le lecteur en constant déséquilibre en veillant à mettre toujours un peu de folie graphique dans les cases en apparence les plus simples.

L’album offre aussi à voir quelques pin up noir et blanc sublimes qui montrent à quel point Kelley Jones est à ranger aux côtés des maitres de l’horreur comme Bernie Wrightson, Graham Ingels ou Stephen Bissette.

Batman – Kings of fear (DC comics)

L’art du grotesque horrifique

Le deuxième chose que j’aime beaucoup chez Kelley Jones, c’est son sens du grotesque et de l’exagération. Si vous ne jurez que par de l’anatomie réaliste, passez votre chemin : Jones dessine les corps et les visages de façon caricaturale et cela peut dérouter au départ car c’est assez rare dans le comics américain.

Pourtant, cela participe pleinement au ressenti viscéral que l’on a de ses planches car Jones joue en fait sur l’animalité et la sauvagerie de ses protagonistes et en accentue au maximum l’effet. Son Batman est donc ainsi plus chauve-souris qu’humain et tout, dans son design, va dans ce sens : il arbore ainsi des oreilles pointues démesurées, des doigts griffus, un nez menaçant et un corps massif et disproportionné.

Batman – Kings of fear (DC comics)

Mais il faut surtout donner une mention spéciale à la façon dont Jones joue avec la cape du héros. La texturant habilement avec des aplats de noir qui lui donnent alors l’apparence d’une membrane d’aile, l’artiste écarte encore une fois tout réalisme pour donner à cet atour très symbolique, mille et une formes délirantes, inquiétantes et toujours très graphiques.

Il n’est clairement pas impossible que Todd McFarlane y ait puisé quelques inspirations pour celle de son Spawn…

Batman – Kings of fear (DC comics)

Des planches parfois vertigineuses

Enfin, la troisième chose que j’aime dans son travail, ce sont ces idées délirantes en matière de découpage et de composition. S’il reste globalement dans un format de cases traditionnelles, il sait proposer des ruptures visuelles fortes et marquantes.

Batman – Kings of fear (DC comics)

Que ce soit dans cet assaut de Batman dont l’ensemble des coups portés forme une impressionnante mosaïque de violence ou bien dans ces doubles pages cauchemardesques qui visent à agréger les visions et peurs du héros, Kelley Jones offre aux lecteurs des planches torturées, ambitieuses, pleines de relief et de dynamisme.

Batman – Kings of fear (DC comics)

En conclusion

Le style graphique de Kelley Jones va nécessairement diviser les lecteurs de Batman car il est très loin des représentations modernes (Greg Capullo, Jason Fabok) ou même de celles qui en ont fait la légende (Neal Adams, David Mazzuchelli, Jim Aparo).

Batman – Kings of fear (DC comics)

Mais il faut y voir une approche qui fait penser à celle de Bruce Timm ou Darwyn Cooke : une recherche du symbolisme et de l’iconisation, à travers l’accentuation ou l’épure des éléments constitutifs du personnage et de son univers. A la différence que  Kelley Jones a choisi, pour sa part, de miser non pas sur l’héroïsme du chevalier noir mais sur la peur qu’il essaie d’inspirer à ses adversaires.

Je vous invite donc à donner sa chance à cette approche graphique de Batman et à jeter aussi un œil aux autres titres de Kelley Jones mais aussi au travail d’un autre artiste très proche graphiquement, le génial Kyle Hotz qui a récemment signé les sublimes covers de la mini-série Man-Bat.